Music

Les Nocturnes de Sofiane Pamart

Propos recueillis par Hannah Walti  
 
Pianiste-compositeur, virtuose classique qui brise toutes les frontières musicales au fil de ses collaborations avec des artistes venus d’horizons divers (rap surtout, mais aussi jazz ou pop, comme avec le regretté Arno), Sofiane Pamart sort maintenant un troisième album solo, intitulé Noche.
 
 
C’est avec une immense générosité que Sofiane Pamart évoque sa musique dans une toute petite pièce au-dessus du studio photo où l’on shoote son portrait ; une pièce angulaire et toute blanche avec une verrière qui donne sur le ciel d’automne et qui fait penser à un décor de théâtre. Au fil des quatre premières années d’une carrière déjà brillante, l’artiste a déjà construit une identité qui le sort du lot, mais c’est depuis l’enfance qu’il compose avec une sincérité désarmante. Avec son nouvel album, il dévoile aujourd’hui à son public, une nouvelle facette de son intériorité, celle qui apparaît quand la nuit est tombée. Des morceaux qu’il a créés pour qu’on les écoute en boucle, de la tombée du jour jusqu’aux premiers rayons du soleil.   Quand tu étais enfant, tu étais un oiseau de nuit ? Je le suis devenu davantage en grandissant. Enfant, en revanche, j’étais un peu plus réglé, parce que ma mère me réveillait plus tôt le matin avant d’aller à l’école pour que je travaille un peu mon piano. Je suivais une sorte de discipline sportive…Et c’est après, quand j’ai pu le faire, que j’ai voulu déconstruire tout ça et que j’ai commencé à basculer vers l’oiseau nocturne. Donc je pense que j’ai d’abord eu un premier cycle dans ma vie où le bon élément naturel, c’était vraiment le jour, et puis un second cycle où ça a basculé dans la nuit. Qu’as-tu voulu dire avec ce nouvel album ? Noche, comme son nom l’indique, c’est un album sur l’univers de la nuit, que j’ai écrit en Amérique latine. Presque tous les morceaux, je les ai composés de nuit, dans une ambiance de mystère, au moment où le monde s’est éteint. Dans l’obscurité, on est plus à l’écoute de soi-même, à l’écoute de ce qui se passe à l’intérieur de soi. Parce qu’en fait, c’est enfin le moment où on peut se ressourcer et ne pas être parasité par les bruits du jour, par les activités du jour. L’album retrace ce voyage-là. Un voyage nocturne.  C’est donc une œuvre très personnelle ? Oui, je me livre plus intimement. J’ai essayé d’aller encore davantage au fond de moi-même, trouver quelque chose de très, très, très intime, mais qui puisse faire écho avec l’intimité d’autres personnes. Dans une musique sans paroles, je ne suis pas obligé de me révéler complètement. Ça veut dire que je peux dire quelque chose de très, très secret, que je n’aurais pas envie de dévoiler en vérité avec des mots, mais puisque c’est de la musique, ça reste mystérieux. Et j’adore ce mélange de mystère et de sincérité.Qu’espère-tu atteindre quand tu commences à composer un morceau ? Je vise l’émotion. À partir du moment où j’arrive à atteindre l’émotion, j’ai l’impression d’avoir accompli ma mission. Je peux écrire un morceau riche, intelligent dans les accords comme dans les mélodies et puis le jeter, parce qu’au final, je ne le trouve pas assez sincère. La sincérité, c’est ce que je trouve le plus important dans la musique. Si tu touches à l’émotion, peu importe laquelle, mais une émotion particulière, tu touches alors à quelque chose de très très universel.  Est-ce que tu ressentais déjà cette émotion quand tu étais au Conservatoire ? Est-ce que tu l’infusais aussi dans les pièces que tu jouais ? C’était même mon problème, c’est que je voulais mettre trop de singularité dans mes interprétations. J’étais trop pressé d’affirmer ma personnalité, et ce sans prendre le temps d’apprendre comment jouer, comment jouer du baroque, comment jouer du romantique… Ce qui m’intéressait, c’était déjà la culture de la singularité.Et puis j’ai appris que c’était intéressant aussi, de passer par un chemin qui n’était pas mon chemin naturel, pour pouvoir ensuite me faire une opinion. Et pour ça, j’ai eu la chance d’avoir beaucoup de maîtres sur ma route, des personnes qui m’ont imposé des cadres, pour que je comprenne un tas de choses. Mais vu que j’étais suffisamment rebelle, je savais que j’allais reprendre ma liberté un jour où l’autre. Tu étais un enfant rebelle ? Oui, mais il y avait ma mère ! Quand j’étais petit, elle se cachait, elle restait devant la porte du cours parce que je n’avais peur de personne, sauf d’elle. Et donc, du coup, juste parce que je savais qu’elle était derrière la porte, je me tenais tranquille. J’étais un peu plus concentré. Depuis l’enfance, je n’aime pas les postures du Conservatoire en général, les uniformes… L’autorité sociale, c’est un truc qui m’a toujours dérangé, mais l’autorité de ma mère, je l’ai toujours respectée. Je n’ai pas le choix ! Tu t’exprimes aussi beaucoup avec ton look, qui est vraiment différent de celui des autres pianistes-concertistes… Je trouve que l’identité, c’est un long chemin. Il y a comme un fil invisible qui nous emmène vers notre meilleure identité possible. Au fil des années, on ne fait que se remettre en question jusqu’à atteindre cette identité-là. Moi, j’avais en tête une sorte de super héros, un « super moi » que je rêvais d’être depuis l’enfance, mais je ne savais pas trop comment m’y prendre. Alors j’ai beaucoup observé les autres et puis petit à petit, j’ai fini par trouver une manière de me raconter.Pour moi, ce qui est important dans les vêtements que je porte, c’est ce que je vois quand je prends de la distance sur moi-même. Qui est cette personne qui va au piano et qui porte un kimono, des lunettes, etc. ? Qu’est-ce qu’elle exprime à ce moment-là ? Parce que quand je joue, c’est ce message qui s’amplifie. Et d’un seul coup, ça crée quelque chose d’assez unique.  Grâce à ta musique et ta personnalité, tu réussis à toucher des gens qui ne se seraient pas spontanément intéressés au piano…  Oui, je suis parvenu à rallier un public différent, à amener à ma musique des gens qui ont l’impression qu’elle les concerne. Et ça, j’en suis content. Parce qu’enfant, je ne trouvais pas de pianiste auquel m’identifier et je me reconnaissais plus dans les rappeurs et les chanteurs, qui me paraissaient plus libres. Je trouve que de briser un peu les codes ou s’en affranchir complètement, c’est ça la plus belle des libertés. Moi je suis artiste, donc du coup, mon rôle, c’est justement d’incarner une singularité. Et je le fais à fond, parce que je trouve que ça peut donner envie à d’autres personnes de faire la même chose dans leur vie.  Quand tu étais plus jeune, qui étaient tes modèles ? Ce n’étaient pas des pianistes. Michael Jackson, David Bowie, Michael Jordan. C’étaient les héros de mon enfance, des superhéros. Tout en étant conscient que dans la vie, ils pouvaient avoir leurs faiblesses, je trouvais qu’ils incarnaient quelque chose de surhumain, comme un personnage de dessin animé qui est une sorte de « role model » pour l’humanité. Tout ce que chacun a fait dans son art, c’est quelque chose qui tire vraiment vers le haut, je trouve. Bowie, sa manière de se maquiller, je trouve ça fascinant. Encore aujourd’hui, quand je vois des images de lui, je me demande toujours comment il peut oser faire ça, raconter autant de choses d’une façon aussi originale. Côté piano tout de même, j’étais admiratif de Horowitz, parce j’avais l’impression d’entendre La Callas quand il jouait au piano. Comme si j’écoutais des gens qui chantaient avec leur âme, alors qu’il produisait juste la musique avec ses doigts. Donc du coup, je trouvais ça fascinant, mais je n’en rêvais tout de même pas autant que des personnages de pop culture.  Et maintenant on te considère comme « le Piano King ». Tu te sens un peu comme un super héros ? Arriver à incarner quelque chose qui nous dépasse, qui est encore mieux que ce qu’on est réellement, je pense que c’est un peu ça notre jeu d’artiste. Inspirer. « Tu as un grand pouvoir, ça implique de grandes responsabilités », ce genre de trucs-là, moi, j’en rêve depuis tout petit. Et quand j’étais enfant, vu que j’étais le seul à jouer du piano, j’avais l’impression de posséder quelque chose de très précieux. Évidemment, dès que j’allais dans des milieux où davantage de gens sont pianistes, ça marchait un peu moins bien, mais chez moi, c’était d’une rareté… C’était incroyable. Et donc, du coup, j’ai l’impression que dans la tête du petit que j’étais, j’avais déjà mon super pouvoir. Après, il fallait que je trouve quoi construire tout autour.  Est-ce qu’il y avait aussi un sentiment aussi de responsabilité ? Le sentiment de responsabilité, c’était d’accomplir quelque chose de grand dans ce qu’on choisissait. Mon grand-père travaillait dans les mines du Nord de la France où il a perdu la vie. Ce genre de métiers, on ne les choisit pas. On les fait par nécessité, on les fait pour autre chose. Lui, c’était comme un sacrifice, pour lancer la génération suivante. Nos parents de nouveau, ils ont recréé cette spirale-là, de mettre leur plaisir vraiment de côté pour nous offrir la meilleure éducation qui soit, pour essayer de nous amener vers quelque chose d’un peu plus haut. Nous, le deal qu’on a depuis qu’on est petits, c’est qu’on choisit ce qu’on veut. En revanche, selon moi, on se doit d’être vraiment brillants. Moi, il fallait que je fasse quelque chose de grand avec le piano, mais ce n’était pas vraiment facile là où j’ai grandi, près de Lille. Il n’y a pas de managers là-bas ! Tout ça était très mystérieux et j’étais très naïf par rapport à ce milieu. Mais il fallait absolument que je construise quelque chose. Et pas que de la musique. Une carrière. Tu as déjà accompli énormément de choses. Est-ce que tu as un but ultime ou est-ce que tu vas juste de l’avant sans t’arrêter ? Qu’est-ce que cela signifie d’être « le roi du piano » ? J’ai l’impression que ça ressemble à un objectif infini. C’est une quête qui se reporte encore et encore. Mais est-ce que cela veut dire être le plus connu de tous tes amis ? Le pianiste qui a le plus de cœur ? Le génie qui a été couronné par le public ? Mais finalement, j’aime bien les buts qui sont comme ça, un peu abstraits, parce que j’ai l’impression que c’est un fil conducteur, une quête, qui implique juste en fait, qu’il faut toujours bosser. En revanche, tout ce que je fais, j’ai envie que ce soit très construit. Ma discographie, j’y mets trop de cœur, j’y mets trop d’amour sur le choix des titres, des histoires. Album après album, j’ai l’impression que je suis en train de bâtir une sorte d’édifice. Mais j’ai de la chance, ça fait quatre ans que j’ai lancé ma carrière et ça commence à être suffisant pour que les gens aient déjà vécu beaucoup de choses avec ma musique. Et ça, ça me touche beaucoup. Réussir à influer sur la vie de plein d’inconnu
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