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Benjamin Poulanges, professions de foi

Propos recueillis par Carine Chenaux

Photographies par Matthieu Salvaing sauf mention  

 

Immergé au cœur des tendances au sein d’un bureau prestigieux puis free-lance à la tête de son studio pour accompagner les entreprises, des plus luxueuses aux plus accessibles, Benjamin Poulanges n’a eu de cesse de se nourrir de ses rencontres successives pour retracer la direction de son parcours. Il nous accueille dans son appartement parisien, situé à deux pas du Palais Brongniart, pour un panorama de sa carrière, toujours en totale mutation, mais au diapason de ses envies. 

 

Peut-on commencer par revenir sur ton parcours, qui, jusqu’à maintenant, s’est avéré aussi riche que multiple ? C’est vrai, parce que j’ai toujours aimé l’idée de repousser les barrières. Disons donc pour me présenter, que j’ai une formation d’architecte d’intérieur. Au démarrage de ma carrière, j’étais directeur artistique pour le bureau de style Nelly Rodi et c’est dans ce cadre que j’ai rencontré le designer et artiste Hilton McConnico avec lequel j’ai collaboré un moment, et qui m’a donné l’envie de devenir scénographe comme lui.

J’adorais ce qu’il avait fait dans le cinéma, bien que, à cette époque, il avait mis de côté ce pan de sa carrière. Mais je me souvenais très précisément de son travail dans Diva, La Lune dans le caniveau, Vivement Dimanche !, Tout Feu tout flamme, 37,2° le matin ou Subway… Je voulais vraiment travailler avec lui, même si à plus de 26 ans, j’étais déjà âgé pour être son stagiaire. Cela m’a tout de même mené à l’assister pendant deux ou trois ans et il m’a beaucoup appris. C’est comme ça que j’ai côtoyé entre autres Jean-Louis Dumas, Président d’Hermès pendant près de trente ans, qui était l’un de ses potes et qu’avec Hilton, j’ai pu travailler sur de nombreuses scénographies pour cette maison. 

C’est après cette expérience que tu as monté ta propre agence ? Oui, il y a presque vingt ans, j’ai créé Studio Poulanges, une structure dédiée à la création, la plus ouverte possible, pour mettre à profit toutes mes expériences, y compris dans la mode, un domaine que j’ai notamment pu envisager en tant que D.A. dans la presse. J’ai aussi notamment eu l’opportunité de continuer à travailler avec Nelly Rodi en tant que free-lance pendant dix ans. Parce que c’est un boulot qui fonctionne beaucoup à l’affect. 

Quels étaient tes objectifs avec ton studio ? Travailler avec des photographes, des gens de la musique, des constructeurs italiens, portugais… En tout cas ouvrir une structure dans laquelle je ne serais pas tout seul et où je pourrais mélanger toutes les disciplines que j’aimais, sachant qu’au final, la liberté vient des clients que l’on a. J’ai beaucoup travaillé avec L’Oréal. J’accompagne aussi depuis quatorze ans, la marque Monoprix que j’adore. Nous avons commencé notre chemin ensemble au début de leurs pop-up stores avec des créateurs. Je fais chaque année deux gros événements avec eux pour présenter leurs collections, l’été et l’hiver, et puis je mets en scène tous les espaces éphémères qui montrent leurs collaborations, à l’instar d’India Madhavi, Paola Navone ou Vincent Darré… Au démarrage, en 2009, ils avaient du mal à trouver des designers et aujourd’hui, tout le monde se bat pour ça. Je crois qu’ils sont bookés jusqu’en 2026.  

Tu as aussi souvent travaillé pour l’univers du luxe… Oui, pour Boucheron, des campagnes publicitaires durant quatre ans, pour Cartier, beaucoup de scénographies pendant longtemps également, pour Van Cleef, pour les cosmétiques Dior ou Givenchy… Il y a une certaine rigueur dans le luxe, que j’aime bien. Et on dispose de moyens techniques vraiment intéressants, des matériaux au travail de la lumière. En tout cas, ce sont mes réflexions avec tous mes clients, quel que soit leur univers, parfois beaucoup plus accessible, qui m’a amené à l’art, ma motivation première depuis six ans. 

Par quoi as-tu démarré alors ? Par le mobilier, ce qui normal quand on vient de l’archi d’intérieur. Et même par le luminaire, puisque j’avais exposé une lampe dans le cadre du VIA. Mais ce n’est que depuis peu que j’ai recommencé à concevoir des meubles, avec des tables, puis des fauteuils. Ils ont l’air fragiles avec un de leurs pieds qui entre vers l’intérieur et qui semble prêt à casser, alors qu’en fait, ils ne le sont pas du tout.   Comment as-tu décidé de faire ces céramiques peintes dont on parle beaucoup depuis un moment ? Cela fait cinq à six ans que je me suis lancé, donc finalement, c’est encore tout neuf. Tout a démarré avec la manufacture Rometti, qui s’est adressée à moi pour sa communication. Sauf que tout de suite, j’ai pensé qu’on pouvait mutuellement s’apporter notre propre savoir-faire et j’ai imaginé une sorte de « troc » des compétences. Mais une fois que notre propre mission a été menée à bien, ce sont eux qui sont venus me relancer pour ma formation, que j’ai effectuée non loin de Rome. Et le déclic a été rapide ?  Oui, l’apprentissage a été fluide et riche, ce qui m’a très vite permis de finaliser mes premières pièces. De là, je suis allé voir Sophie Negropontes qui me représente depuis, puisque toutes mes œuvres lui ont plu d’emblée.

Pour ma première expo dans sa galerie, j’ai démarré avec dix-sept pièces dont beaucoup sont de de grosses jarres qui ont vite voyagé aux Etats-Unis et qui ont cartonné à New York et San Francisco. Pour les réaliser dans le respect des règles, il faut au bas mot vingt-cinq ans d’expérience, et évidemment, je n’ai plus le temps pour acquérir cette maîtrise. Donc j’ai travaillé sur ce projet avec un tourneur en Italie. Mais au moment de ma deuxième exposition, j’étais un peu frustré de ne pas mettre les mains dans la terre, donc j’ai voulu utiliser une technique de « collage ».  C’est-à-dire ? Dans la céramique, il y a le « tourné », qui, comme son nom l’indique, consiste à utiliser un tour. Ensuite le « colombage », qui nécessite d’utiliser des sortes de « boudins » qui ressemblent à de la pâte à modeler, mais qui imposent un travail très long. Et enfin, il y a cette technique de « plaques » qu’on assemble comme une maquette et que j’ai finalement utilisée. Pour la réalisation de ces pièces, les éléments qui entrent en jeu ont tous été naturels. Pas de peinture à l’huile par exemple, mais des pigments et des émaux ; quelque chose d’authentique pour, au final, un style contemporain.

Au départ j’ai créé des formes qui se rapprochent de vases, de brocs ou de soupières, des contenants un peu moyenâgeux et puis pour ma collection Origine, qui a été présentée chez Negropontes, je me suis plutôt inspiré du gréco-romain, avec des pièces qui évoquent l’Antiquité tout en restant toujours actuelles. C’est à partir de ces céramiques que tu as commencé à envisager de réaliser aussi des tableaux ? Oui et non, parce que je peignais depuis longtemps sans trop montrer ce que je faisais. Mais mon style était alors beaucoup plus sombre. A croire qu’en vieillissant, je deviens joyeux (rires).

En tous cas, les objets m’ont inspiré de nouveaux tableaux. Certains sont effectués sur de vraies toiles tendues sur un châssis, avec de nombreuses superpositions de peinture, puisque je travaille avec beaucoup d’Encre de Chine, de l’acrylique et un peu de plâtre pour donner de la texture. Il y a aussi des toiles en céramique, conçues avec plusieurs dalles, comme des caisses américaines.

Comment, avec ton métier, trouves-tu le temps de créer toutes tes pièces d’art ? Pour réaliser tout ce qui est artistique, j’ai pris l’habitude de m’isoler pendant des périodes d’un mois et demi. Après l’Italie, j’ai pour ambition de partir au Mexique à Guaracha, pour me former avec un créateur de céramique local, avant de monter une expo à Mexico puis d’envoyer quelques pièces dans une boutique-galerie qui me représente à San Francisco. Ton appartement accueille ton atelier, mais aussi visiblement, de nombreuses pièces issues de tes scénographies…  Oui, comme ces sellettes vertes qui se marient à des statuettes asiatiques. Si les lieux, quoique à géométrie très variable, apparaissent comme un espace vraiment maîtrisé, l’atelier, qui fait la jonction entre le salon et la cuisine, a des allures très brutes, notamment avec son parquet entaché de plein de traces de peintures.

Pour moi, il s’affiche comme le plus beau des espaces, situé de façon volontaire au cœur même de l’appartement, en partie parce qu’il sert souvent de lieu de travail pour les équipes du studio. Sinon, l’endroit m’accueille surtout quand je m’attelle à mes toiles, puisque je réalise mes céramiques principalement en Italie.

Pour ça, en parallèle, j’ai un atelier à cinquante minutes de Paris où je vais peut-être installer des fours, mais qui ne m’offre pas le côté « cocon » que je recherche. Mais je réfléchirai à cette question plus tard parce que je m’essaierais bien aussi à la porcelaine, pour des créations plus légères et toute une série de vaisselle, et puis aussi au design de tapis imaginés sur la base de mes toiles.

A l’horizon 2024, nous travaillons en prime sur des pièces de mobilier en carton moulé comme à l’époque Napoléon III, mais en version contemporaine, en nous associant à une usine de papier. Outre ce « twist » de matière, je resterai très sobre sur la forme.  D’autres projets encore un peu plus décalés ? En ce qui concerne mon studio, j’aimerais qu’à l’avenir, sans se limiter et sans exclure aucune activité d’origine – du graphisme à l’événementiel en passant par l’archi d’intérieur, la scéno ou simplement le conseil avec des entreprises comme le Club Med -, il soit le plus possible tourné vers les jeunes créateurs, comme une « maison ouverte ». Mais en fait, c’est déjà plus qu’une envie, puisqu’on est en train de s’organiser pour le remanier dans ce sens.

On envisage aussi de vendre au bénéfice d’associations, des pièces d’artistes qui ont été conçues pour servir de présentoirs dans le cadre d’événements ponctuels. Des cubes en céramique qui deviendraient consoles ou bouts de canapé par exemple, dans un esprit éco-responsable et durable, parce qu’aujourd’hui, on a envie de garder les choses.

Et puis j’aimerais aussi travailler sur des séries mode en peignant les vêtements comme s’il s’agissait de toiles.

Enfin, j’envisage de faire une exposition dans mon appartement, qui s’étendrait jusque chez ma voisine de palier. Elle projette de faire réaliser des travaux chez elle, donc elle m’a suggéré de profiter de l’espace provisoirement vide. Nous sommes très peu nombreux dans cet immeuble, complètement dans son jus et on se connaît tous. Donc investir les lieux, jusqu’à l’escalier qui sait, apparaît carrément comme idée viable et vraiment placée sous le signe du partage ! 

A voir à partir du 31 mars 2023, exposition « Boreal » à la Her and Me Gallery, 18 rue Saint-Simon Paris 7è. et « True Colors » à la Galerie Negropontes, 14-16 rue Jean-Jacques Rousseau Paris 1er.  Exergues“Il y a une certaine rigueur dans le luxe, que j’aime bien.““l’endroit m’accueille surtout quand je m’attelle à mes toiles”“aujourd’hui, on a envie de garder les choses” 

 

Crédits Photos Entrée :-  Paire de consoles en fer forgé 1940-  Installation d’angle : peinture Benjamin Poulanges-  Œuvre en papier brulé Mathilde PoulangesSalon :Visuel 1-  Table basse modèle Jumbo par Gae Aulenti-  Vase en céramique Origine par Benjamin Poulanges-  Vase sur la cheminée céramique peinte Orage par Benjamin Poulanges-  Lampe en bois sur la cheminée de Brian Willsher 1970-  Paravents peints Benjamin Poulanges-  Cube de céramique peint par Benjamin Poulanges-  Paire de chaises vintage noires-  Tableau par Eric Gillmann-Visuel 2 :-  Tableau par Eric Gillmann-  Vase en céramique Origine par Benjamin PoulangesVisuel 3-  Fauteuil Gae Aulenti-  Lampadaire en chaînes soudées 1950Salle à manger : Visuel 1 :-  Chaises modèle Orsay par Gae Aulenti-  Banquette en noyer réalisée par Benjamin Poulanges-  Table en noyer massif et en marbre de Carrare vert réalisée par Benjamin Poulanges-  Bibliothèque en noyer et sphères blanches en céramique réalisées par Benjamin Poulanges-  Lustre en cristal Angelo Mangiarotti-  Vase en céramique vert fin 17ème-  Céramique par RomettiVisuel 2 :-  Cubes de céramique peints Orage par Benjamin PoulangesVisuel 3 :-  Sculpture Bouddha fin 19ème siècle-  Stèles Benjamin Poulanges-  Tableau Origine Benjamin Poulanges représenté par la Galerie Negropontes-  Table en noyer massif et en marbre de Carrare vert réalisée par Benjamin PoulangesChambre :-  Tête de lit en noyer massif réalisée par Benjamin Poulanges-  Fauteuil Jean-Baptiste Claude Sene –  Cabinet en noyer 18ème siécle-  Photographie Mon Roi d’Henrike Stahl-  Lampe vintage Italienne Chambre d’amis :-  Commode Knoll-  Bougeoir en céramique Jean Marais-  Lampe Artemide par Mario Botta 

 
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