Texte : Capucine BerrDessins : Hannah Walti 

Les parfums, toujours, racontent une histoire… Et si cette histoire devenait scénographie ? Que l’odeur se muait en architecte de nouveaux volumes, comme un ciseleur d’espaces capable de projeter l’expérience olfactive en trois dimensions ?   Déflaconner le jus, redéfinir les contours de l’odeur, la rendre palpable, matérielle presque….  Le parfum gagne désormais en texture à travers de multiples expériences immersives. Et le régisseur olfactif de devenir l’acteur de cette émancipation.

Avec sa société Osmoart, Pierre Bénard est le designer d’évènements et d’expériences sensorielles et synesthésiques centrés sur la culture, la recherche et le développement. A l’instar de ce concert d’Alain Bashung au Bataclan en 2003 pour « La Tournée des Grands Espaces », où avec les sculpteurs d’arômes d’Asquali – Jacqui Ledresseur et Michael Moisseeff aux commandes -, il a conçu des partitions olfactives sur deux titres du chanteur. L’une autour des huiles essentielles d’oliban et de myrrhe pour procurer une dimension spirituelle au Cantique des cantiques, l’autre ourlée de fleurs blanches narcotiques pour Madame rêve. Cette magie tient alors au développement d’un système de diffusions d’odeurs pilotable et régulable basé sur un principe de nébulisation.

« Notre intérêt pour la mécanique des fluides nous permet d’imaginer, de concevoir et de mettre en œuvre des systèmes de diffusion d’odeurs pour parfumer des lieux et des événements. Nous faisons appel à des compétences d’ordre méthodologique, plastique, technique, culturelle et sémantique, qui sont nécessaires à l’insertion dans un milieu mouvant. ».

Une manière moderne d’appréhender une aventure pas vraiment nouvelle, puisque les Grecs, déjà, accordaient une importance toute particulière aux parfums en diffusant des odeurs vers les cieux, censés nouer un lien métaphysique avec les dieux, et cacher aussi les odeurs nauséabondes du Capitole jonché de bêtes abattues… 

Au titre des expériences nouvelles, on notera encore la façon dont Chanel a propulsé ses fragrances en maîtres de cérémonies de l’exposition. Le Grand Numéro, cet hiver au Grand Palais Éphémère. Un parcours multisensoriel et interactif où la fragrance devient la narratrice d’une histoire mêlant art et expériences singulières. “La parfumerie de Chanel a une ambition existentielle. Le Grand Numéro de Chanel a proposé un voyage émotionnel, une occasion de découvrir toutes les facettes et le rôle d’un parfum. Beaucoup pensent que le parfum est un accessoire ou la touche finale d’une silhouette, mais c’est bien plus que cela. Il a un réel impact sur nos sentiments, notre confiance, notre humeur, notre désir. », explique ainsi Thomas du Pré de Saint Maur, directeur des ressources créatives des parfums, des cosmétiques, de l’horlogerie et de la joaillerie de la maison Chanel.

Parfum défricheur et réconciliateur, et si le parfum permettait d’explorer des lieux ou époques inconnus, voire primaires ? De recréer une ère qui nous est inconnue ? Edwige Armand, Enseignante chercheuse à Toulouse, permet ce voyage en recomposant l’atmosphère de diverses époques révolues grâce à son travail tant au niveau lumineux que gazeux ou sonore et bien sûr, en appréhendant les senteurs. Respirer pour la première fois l’inconnu géologique d’un système terre-océan-roche-organisme souvent sans oxygène et toxique, retraduire une époque chaude vieille de 12 millions d’années, irrespirable ? Possible ou presque ! Et cela grâce à des effluves mêlant soufre, poivre, girofle et odeur de brûlé, l’inconnu devient compréhensible via la recherche aux tréfonds du sensoriel et de la connaissance de l’ère paléolithique. Pas étonnant que, dans cette spéléo au cœur du nébuleux, la recherche contre la maladie d’Alzheimer fasse désormais aussi appel à l’olfaction pour récupérer des souvenirs ou automatismes éconduits, grâce au cortex olfactif, afin de renouer avec la déambulation, l’émotion, le langage, et la quiétude, grâce aux parfums d’alors.

Dans cette veine, du 12 au 14 mai prochain, la Journée des Plantes de Chantilly proposera une édition « Cultiver le bien-être » pour que les amateurs de nature rencontrent plus de 200 pépiniéristes afin de réfléchir à la façon dont le jardin et les plantes impactent positivement notre humeur et nous apportent de nombreux bienfaits t, que ce soit d’un point de vue psychique, émotionnel, physique ou même social… Ou comment redécouvrir la pimprenelle boosteuse de papilles, le jasmin qui aide à surmonter les chagrins, la sauge, pilier de la pharmacopée populaire…  

Parfum paysage, parfum lointain, L’histoire d’un parfum est toujours chargée de lieux à histoires… Pourtant, l’adhésion au sourcing d’ingrédients de niche et éco-responsables contribue aujourd’hui à découvrir d’autres latitudes. C’est le cas de l’élémi, ingrédient rare et couvé d’Éthiopie, de Madagascar et des Phillippines. Résine tirée des balsamiers, servant à faire du vernis appelé le baume de Fioraventi, jadis employée en pharmacie, l’élémi et son odeur mi-poivre mi-encens se récolte au sommet d’un arbre de 30 mètres de haut et est l’un des ingrédients rares d’Eau Sauvage de Dior. Un voyage in da house pour les plus casaniers.

Dans une région bien plus froide, l’artiste Kaja Solgaard Dahl offre au parfum et au parfumé une virée conceptuelle au cœur de la Norvège et de ses fjords, avec son jus Norwegian Notes. Une expérience 3D conçue à partir d’objets parfumés recueillant une composition déconstruite d’huiles naturelles norvégiennes. Cet objet s’annonce comme un rituel initiatique qui peut s’épanouir dans le chez-soi : la pièce suspendue Gren contient du pin norvégien, la cire bleue et la forme en bois Rot ont été infusées avec de la racine de Fjellkvann, les deux pièces de table Stilk contiennent un mélange de baies de genévrier et un parfum de feuille de tomate. Ensemble, les pièces composent un objet-parfum réinterprétant le paysage naturel nordique.

Ainsi, le parfum, sous toutes ses coutures et sous tous ses angles, devient meneur de danse des sens. Un évidence au final, quand on sait que 93% de la communication est non-verbale et que l’odeur et son souvenir laisseront en nous une trace quasi-indélébile.  

A voir : Osmoart a créé les conférences « Parfums en scène : régisseur olfactif, un nouveau métier ». Prochains rendez-vous les mercredi 22 mars et jeudi 23 mars 2023 près de Toulouse. www.osmoart.com.