Music

Texte : Carine Chenaux

Après une mixtape et un premier opus qui lui ont assuré une place incontestable sur la scène hexagonale, le jeune rappeur d’origine malgache Tsew The Kid est de retour avec un nouvel album, « On finira peut-être heureux ». Une sorte de quête du bonheur évidemment sans certitude, mais riche de la vraie dose d’espoir qu’il nous faut.

Attention apparences trompeuses. Avec son faciès juvénile qu’il estime encore parfois le desservir mais qu’il bénira un jour, et son alias qui semble avoir été trouvé pour continuer d’enfoncer le clou, l’artiste est une pointure. Suivi par 1,6 million de personnes sur les réseaux et capable de remplir un Olympia plus vite que nombre de stars incontestées de la pop, ce jeune rappeur devient un rouleau compresseur dès lors que la musique entre en jeu. Mais c’est cependant avec douceur, si ce n’est avec un léger flegme qu’il redit, certainement pour la millième fois que son pseudo renvoie moins à l’enfance qu’à l’image de Billy Le Kid, gangster de son état, et puis à l’icône du hip hop américain Kid Cudi, dont il partage les textes acérés et un vrai lâcher-prise quand il s’agit de switcher entre le spoken word et le chant. Disque d’or avec son premier projet « Diavolana », adoubé dès la sortie du LP « Ayna », Tsew n’avait pourtant pas choisi la voie rapide du fun et de la fête pour entrer en lice dans l’industrie discographique. Préférant explorer ses peines en embarquant avec lui des auditeurs qu’il imaginait être capables de le comprendre, le jeune auteur, musicien autodidacte et rappeur au flow addictif a tout de suite tapé juste. Ou quand la magie de l’authenticité fait ses effets. Pas moins sincère aujourd’hui, on le retrouve de nouveau face à ses luttes intérieures, évoquant successivement ses incertitudes quant à la réussite, les amours et les amitiés déçues, la ligne ténue qui sépare l’ombre de la lumière et les échappatoires possibles pour contrer la tristesse et l’ennui. Sauf qu’en lui-même, l’artiste autant que l’homme ont su grandir et prendre du recul. Aujourd’hui plus apaisé et même amoureux, comme il ose l’avouer sur le titre finalisé presque en dernière minute, Les Restes de mon passé, il livre un album moins sombre qu’à l’accoutumée, puisque mâtiné en filigrane, d’une réelle envie de peu à peu avancer. De quoi imaginer que, partagé entre empathie et identification, son public n’hésitera pas à l’accompagner sur cette voie accidentée, qui peut-être un jour, amène simplement à être heureux et à l’accepter.

 

Nouvel album « On finira peut-être heureux » (Panenka Music) avec des featurings d’Hatik, Squidji et Zaky, sortie le 23 juin. En tournée à partir du mois d’octobre.

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Texte : Carine Chenaux


Connaissez-vous « l’abstraction satirique » ? Peut-être pas davantage que l’artiste américain qui a un jour défini ainsi ses dessins, peintures et collages, parce qu’ils étaient à la fois non-figuratifs, humbles et joyeux. Détaché de tout dogme, Eugene J. Martin prenait pourtant son travail au sérieux. Au point de littéralement lui consacrer sa vie. Dix-huit ans après sa disparition, on le redécouvre à la faveur d’une exposition monographique à Paris. La première qui lui est consacrée.



Eugene J. Martin (1938-2005) suscite depuis plusieurs mois, un engouement inédit. Une attention aussi soudaine que méritée, dont le point de départ aura été la présentation d’une sélection de ses œuvres, dans le cadre de l’édition 2022 de Drawing Art Fair au Carreau du Temple à Paris. L’initiative est à mettre au compte de la Galerie Zlotowski qui le représente en France. Car en même temps qu’elle contribue au rayonnement de grands noms (Sonia Delaunay, Jean Dubuffet, Fernand Léger, Le Corbusier…), celle-ci s’est fait une spécialité de remettre en lumière des artistes plus méconnus de la seconde moitié du 20è siècle, dont le peintre africain américain fait partie.



Un intérêt qui s’explique d’autant plus aisément, que, déjà même avant d’appréhender son travail, le personnage, charismatique s’il en est, a tout du héros de roman. Avec ses faux airs de Gil Scott-Heron et sa manière si reconnaissable de s’installer sur un banc pour réfléchir, comme on le découvre sur des clichés de l’orée des 70’s, Eugene James Martin avait de quoi attirer tous les regards. C’est pourtant dans la plus grande discrétion qu’il a choisi de mener sa vie, conséquence possible d’une jeunesse tourmentée. Né d’un père musicien de jazz et d’une mère disparue quand il n’a que quatre ans, c’est dans des foyers, dont il s’évade dès qu’il le peut, que démarre son histoire. Devenu multi-instrumentiste dans un groupe de rythm n’blues, il opte cependant vite pour la peinture, sa vraie passion, et ce, malgré le spectre de la ségrégation raciale, qui ne l’épargnera pas davantage dans son existence que dans sa carrière.



Au vu de la liberté dont l’artiste aura toujours fait preuve au travers de son travail, on pourrait croire Eugene J. Martin autodidacte. Cependant, formé à la Corcoran School of Art and Design de Washington entre 1960 et 1963, c’est fort d’une grande culture picturale qu’il entame son parcours. Passionné par Picasso, Kandinsky, Miro ou Klee, dont on le rapprochera le plus souvent, il se tourne vite vers l’abstraction, tout en se déjouant des codes et des attentes du marché. Cette non-stratégie l’obligera parfois à adapter ses techniques aux maigres moyens dont il dispose. Et le mènera souvent vers des hasards heureux, de ses collages magnifiques, faits de fragments d’œuvres peintes à ses dessins, réalisés avec de simples calames de bambous et de l’encre, qui révèlent une exceptionnelle palette de teintes neutres chez ce coloriste de génie. Marié en 1988 à Suzanne Fredericq, une biologiste belge tombée amoureuse de son travail avant de rencontrer l’homme derrière les pinceaux, Eugene J. Martin trouvera dès lors une nouvelle sérénité. Soutenu par son épouse, il pourra plus que jamais créer à sa guise jusqu’à sa disparition en 2005. Inclassables, jubilatoires, volontairement exemptes de tout message politique ou sociétal et souvent même de titres, ses œuvres font aujourd’hui partie des collections permanentes de nombreux musées américains.

 

Exposition Eugene J. Martin, jusqu’au 30 juin 2023 à la Galerie Zlotowski, 20 rue de Seine, Paris 6. www.galeriezlotowsi.fr.

Catalogue bilingue, préface de Suzanne Fredericq, texte de Philippe Dagen, plus de 50 œuvres reproduites, Les Éditions Martin de Halleux, 24 €.

www.eugemartinart.com.

 

 

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Propos recueillis par Gregg Michel

Direction Artistique Arthur Mayadoux

Photos Rasmus Mogensen

Stylisme Sonia Bédère

Avec très peu d’instruments et une rare proximité, Ben Harper dévoile une nouvelle collection de chansons pleines de passion et d’âme pour ouvrir son cœur à l’auditeur : Wide Open Light. Toujours en quête de la meilleure manière de transmettre ses émotions, l’artiste continue d’arpenter et d’explorer son propre chemin, près de trois décennies après l’introduction explosive de Welcome To The Cruel World. Et ce n’est que le début.

 

Qu’est-ce qui est venu en premier, les chansons ou le concept ?

 

Je n’ai pas nécessairement écrit avec un concept en tête, mais j’ai mis des chansons de côté, j’en ai même donné quelques-unes à d’autres personnes pour qu’elles les essaient. J’ai aussi testé certaines d’entre elles sur scène, mais je ne les ai pas enregistrées, dans l’espoir de faire cet album : quelque chose de dépouillé, de subtil, mais dont l’intention est claire.

 

Comment se fait-il que la deuxième chanson de l’album soit un morceau live ?

 

« Giving Ghosts » a effectivement été enregistrée en live à l’Opéra de Sydney. La raison pour laquelle j’ai fini par utiliser cette prise live est qu’il y a eu de nombreuses versions de ce morceau et j’ai fini par avoir l’impression que je n’arriverai pas à faire mieux. J’espère qu’un jour, en concert, j’y arriverai, mais j’ai réalisé que je ne pourrais pas obtenir un enregistrement aussi bon en studio. Aussi honnête, en tout cas. J’ai donc dû appeler mon ingénieur du son et lui demander « Pitié, dis-moi que tu as enregistré ce concert » et il m’a répondu « Oui, j’enregistre tous les concerts » ! (rires)

 

Comme cet album s’insère-t-il dans ta discographie ?

 

Son enregistrement et sa création étaient tout simplement fantastiques, c’est vraiment un disque de rêve. Pour moi, être à ce stade de ma vie et ne pas être soumis à la pression de la musique pop est un exploit, pouvoir faire un disque subtil comme celui-ci et avoir des invités que j’aime : Piers Faccini, Jack Johnson, Shelby Lynn. J’ai simplement appelé quelques amis pour qu’ils participent à l’enregistrement. Du plaisir, rien que du plaisir.

 

Est-ce que le voyage jusqu’à ce disque a toujours été aussi clair ?

 

J’ai pris un risque, j’ai enregistré un disque instrumental intitulé Winter is for Lovers, avec une grosse production, un orchestre à cordes et un groupe. Mais juste avant de le sortir, j’ai décidé d’en faire une version différente, avec juste moi et une guitare en studio. J’ai fini par sortir Winter is for Lovers comme une lettre d’amour adressée à la guitare lap steel. Et c’est ce qui m’a poussé à faire ce nouvel album, car je savais que je devais trouver le même courage, mais avec des paroles cette fois.

 

Wide Open Light semble représenter tout ce que tu as fait jusqu’à présent, le vois-tu comme un résumé de ta carrière ?

 

Oui, ça semble logique. Ça a du sens pour moi, en tout cas. C’est une ode à mon parcours musical et une ode à l’amour. Il y a beaucoup d’amour dans cet album. L’amour comme un risque, l’amour comme une rupture, l’amour comme un pouvoir. Ce que l’amour apporte, ce que l’amour prend. L’amour comme récompense, l’amour comme notre plus grand accomplissement en tant qu’êtres humains. L’amour sous toutes ses formes.

 

Tu sembles aborder le sujet de manière plus légère maintenant…

 

Oui, je ne voulais pas tomber dans les pièges et les clichés de l’amour et j’ai donc essayé d’écrire en contournant tout ce qui semblait évident. Du genre « l’amour est un vide-grenier » (NDLR : Phrase extraite du duo avec Jack Johnson « Yard Sale »), alors qu’on n’a pas l’habitude d’y penser de cette façon. J’ai essayé d’éclairer mon point de vue sur l’amour, musicalement parlant.

 

« Masterpiece » se rapproche du « Father And Son » de Cat Stevens. Penses-tu que ton écriture ait changé ?

 

Merci, c’est un énorme compliment. Il y a beaucoup d’abandon dans cet album. Je lève les mains au ciel et je dis « Amour, fais de moi ce que tu veux ». C’est peut-être ça qui fait la particularité de ces chansons d’amour.

 

Elles semblent très intimes et, contrairement à celles de beaucoup d’autres artistes, pas du tout simulées, mais pleines de cœur et de passion.

 

Chanter l’amour à 53 ans est très différent de chanter l’amour à 23 ans. Et je ne pensais pas vivre assez longtemps pour chanter l’amour à 53 ans. Vraiment pas. Il s’avère que cela devient une conversation totalement différente, à cet âge.

 

Penses-tu avoir trouvé ce que tu cherchais, et penses-tu que c’est important de le trouver ?

 

Pas mal ! (rires). Quand tu trouves ce que tu cherches, tu réalises que le voyage pour le trouver ne fait que commencer. On se dit : « J’ai trouvé, mais qu’est-ce que je vais en faire ? ». Il s’avère que l’on peut chercher quelque chose toute sa vie, le trouver et c’est finalement le début de la quête. C’est très intéressant, c’est la nature humaine.

 

Vois-tu tes albums comme les étapes d’un voyage intérieur ?

 

Oui, tout à fait !

 

Considères-tu celui-ci comme un aboutissement ou juste une nouvelle étape ?

 

Celui-ci referme un livre. Il fait un nœud autour de quelque chose. Je ne sais pas quoi, mais tout ce que je ferai à partir de maintenant sera certainement un nouveau départ.

 

Les arrangements sont vraiment ténus et dépouillés, comment as-tu réussi à ne pas surproduire les chansons ?

 

C’était le grand moment de vérité pour cet album. Je connais des producteurs, et même de très bons producteurs, de hip hop, d’électro, d’EDM…  Certains ont même gagné le titre de « producteur de l’année ». Mais ces gens, j’ai choisi volontairement de ne pas les appeler. En revanche, je me suis tourné vers deux personnes que je connais depuis toujours : Danny Kalb, qui a enregistré « Both Sides Of The Gun » et « Lifeline », et Jazon Mozersky, qui faisait partie de Relentless 7 avec moi. Il y a une seule chanson co-écrite sur cet album et c’est « 8 Minutes » avec lui. C’est un album dépouillé et tous deux m’ont vraiment aidé à le produire, car à chaque fois que j’essayais de l’étoffer en ajoutant des choses, ils revenaient vers moi et me disaient ce qu’il fallait enlever. C’était vraiment une production par extraction, d’une certaine manière. Is m’ont vraiment permis de sortir de mes propres sentiers battus, donc je ne peux pas juste dire : « J’ai décidé d’être courageux et de laisser de côté la batterie et la basse ». En réalité, j’avais des gens qui regardaient par-dessus mon épaule en permanence pour s’assurer que cet album sonne de manière honnête, nue et dépouillée.

 

« Love After Love » est le seul morceau avec un groupe entier et même un violon, mais même dans ce cas, tu sonnes au plus près de l’auditeur…

 

Cela n’a pas rompu le charme alors, j’en suis heureux. Nous avions également retiré la batterie et la basse de ce morceau, mais ça ne fonctionnait pas, donc nous avons décidé de les remettre. « Masterpiece » était également très dépouillée mais j’ai toujours aimé la partie de basse alors on peut dire que « Love After Love » a servi de caution pour rajouter de la basse à « Masterpiece ». Ce sont des chansons sœurs sur l’album.

 

Que peux-tu dire au sujet de la pochette ?

 

Le visuel représente une femme assise à sa fenêtre, la nuit, avec la lumière allumée et j’ai choisi cette image, parce que j’aime à penser que, dans un monde parfait, elle écoute cet album. (sourire)

 

Tu vas bientôt partir en tournée, penses-tu que les anciennes chansons influenceront ta façon de jouer les nouvelles ou est-ce que ce sera l’inverse ?

 

Non, je les jouerai telles qu’elles ont été enregistrées.

 

Comment t’es-tu retrouvé à jouer avec Harry Styles ?

 

Je l’ai fait pour la simple et bonne raison qu’il est génial, que la chanson est géniale et que son album est génial. Je jouerais avec n’importe qui ayant des bonnes chansons. Il se trouve cette fois qu’il s’appelle Harry Styles. C’était cool pour moi d’être demandé, c’était excitant et ça a donné une session super fun. J’en garde un souvenir vraiment merveilleux et j’espère que nous pourrons en faire d’autres.

 

À ce propos, avec qui aimerais-tu collaborer ?

 

J’aimerais écrire avec Paul Simon, ça pourrait être amusant. J’aimerais aussi écrire avec Joni Mitchell ou Lauryn Hill.

 

Est-ce que tu penses déjà à ce que pourrait être la prochaine étape ou est-ce que tu comptes simplement profiter de celle-ci ?

 

Je vais profiter de celle-ci parce que je n’ai pas de prochaine étape pour l’instant. Je n’ai rien de prévu. Pour ce qui est d’enregistrer des disques en tout cas, car je vais mettre toute ma concentration, mon énergie et ma détermination dans la tournée à partir de maintenant.

 

Wide Open Light (Chrysalis) sorti le 2 juin 2023.

En tournée à partir de juin 2023. A l’Olympia à Paris le 30 juin et du 3 au 5 juillet.

 

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Texte : Carine Chenaux


Seule manifestation internationale consacrée, comme son titre l’indique, au(x) Portrait(s), le Rendez-Vous Photographique de Vichy est de retour cet été pour une onzième édition. Au fil de neuf expositions, on y admirera « la mécanique des corps », fil rouge de l’événement, mais on tentera aussi de comprendre comment et surtout pourquoi un artiste choisit d’étudier les autres pour construire son œuvre.

« Les plus merveilleuses des représentations d’êtres humains, réalisées avec une attention absolue, tout comme les ressemblances obtenues grâce à un savoir-faire durement acquis, ont une grande valeur culturelle. Qu’ils soient fidèles à l’apparence du modèle ou qu’ils expriment son caractère, les portraits peints ont une signification majeure, liée à notre intérêt commun pour l’observation et l’apprentissage d’autrui. », considérait en 2015 le grand historien Sandy Naire, alors directeur d’un musée parmi les plus fascinants du monde, la National Portrait Gallery à Londres. Une analyse alors circonscrite à la peinture, mais exprimée selon lui, dans un monde saturé de représentations de visages. Et que l’on pourra donc aussi aisément appliquer au portrait photographique. Car pour peu qu’on emprunte la voie artistique, qu’importe le médium : à chaque fois, le propos est de scruter l’âme humaine si ce n’est en prime, de constater les mutations de la société. Voire plus simplement de pénétrer d’étonnants microcosmes, comme l’aura révélé récemment la très réussie commande nationale « Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire », financée par le Ministère de la culture et pilotée par la BnF.

Miss et militaires

Deux des séries livrées à cette occasion sont donc à juste titre mises à l’honneur par le Rendez-Vous de Vichy. A commencer par « Allons enfants ! », réalisée par Stéphane Lavoué. Fils et petit-fils de militaire, le photographe est ainsi parti à la rencontre de jeunes engagés, élèves sous-officiers ou nouvelles recrues de Saint-Cyr, dont la physionomie parfois encore juvénile contraste avec la rigueur de l’institution. Une manière de s’interroger sur l’étonnant engouement que suscite l’armée depuis le confinement et le conflit en Ukraine.

Immergé dans un monde très différent, Gilles Leimdorfer, habitué à revisiter avec humour et sensibilité, « les lieux communs de la France éternelle » a su lui aussi s’illustrer. Il a ici choisi de remettre en lumière d’anciennes Miss, couronnées alors que les concours n’étaient pas encore télévisés ; retraçant ainsi autant de parcours de vie et rappelant que « Les reines de beauté sont aussi des femmes âgées. », selon le titre de l’un de ses clichés.

Are you normal ? No !!!

Mais parmi les propositions de cette nouvelle édition, c’est la grande rétrospective « La Beauté est un leurre » présentée en extérieur par le cultissime photographe néerlandais Erwin Olaf qui promet d’attirer le plus vaste public. L’occasion pour le spectateur, de (re)découvrir les mises en scène parfaites et les portraits saisissants que ce grand nom de la discipline réalise depuis quatre décennies, en n’oubliant jamais de regarder au-delà de l’image. Car ainsi que le définit la galerie Rabouan Moussion qui le représente : « L’extrême sophistication de ses descriptions et la précision de l’ensemble des éléments visuels confèrent à ses photographies une apparente sérénité. Celle-ci dissimule un sous-texte évoquant des questions profondément humaines et sociales : déclin de l’Occident, tabous sociétaux, politiques de genre, problématiques queer… et une interrogation récurrente : qu’est-ce que la normalité ? » Une question que se pose aussi le Belge Jacques Sonck, lui qui, en noir et blanc, immortalise depuis 1970 en Flandres, les originaux, les excentriques, ceux qui détonent et se démarquent des autres : « C’est la diversité́ qui m’intéresse, assène-t-il ainsi. Peut-être que grâce à mon travail, les gens apprennent à voir différemment, avec une curiosité empathique envers mes sujets. Nous sommes tous différents, tel est mon leitmotiv, et que nous en soyons fiers en est le message. » Une philosophie en phase avec celle des équipes de Portrait(s) et de sa directrice artistique Fanny Dupêchez, mues par l’envie de d’éviter les lieux communs, tout en multipliant les surprises comme les espaces de transmission ou d’enseignements. Et ce, y compris, comme il est de coutume ici, en faisant une belle place au côté des artistes, aux autres métiers de l’image (cette fois, les rôles respectifs du producteur et de l’agent). De quoi vraiment appréhender ce que les photos racontent dans leur ensemble, par-delà les simples regards.

 

Portrait(s), Le Rendez-vous photographique de Vichy, du 23 juin au 1er octobre 2023. Esplanade du Lac d’Allier, Grand Établissement Thermal, Hall des Sources, Parvis de la Gare à Vichy (03). Entrée libre.

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LIFE STYLE

Texte : Elisabeth Clauss

 

Les familles, par alliances électives ou scellées par les liens sacrés du goûter du dimanche, sont comme des chaînes : avec un fermoir qu’on préfère ouvert, précieuses quelle qu’en soit leur composition, avec ou sans médaillon pour graver les étapes importantes, et en or, qu’on aimerait parfois plaquer.

Que les réseaux soient sociaux ou pas trop, dans une même ville, on est généralement à quelques relations à peine de quelqu’un qu’on ne connaît pas. Encore. En 1929, l’écrivain hongrois Frigyes Karinthy avait évalué que sur Terre, chaque être humain était éloigné de n’importe quel autre par « six degrés de séparation », selon la théorie du même nom. Depuis, d’autres calculs sont arrivés à sept maillons, mais de toute façon par l’entremise de Facebook, en 2016, on était passé à 3,5. Et dans une pharmacie, même à l’autre bout du quartier, un jour où vous avez le teint brouillé, les yeux vitreux et le nez rougi, soyez bien sûrs que vous rencontrerez en moyenne 17,4 personnes que vous connaissez, dont votre crush inavoué. Mais ça, c’est la loi de Murphy, qui lui aussi, avait un beau-frère.

On a chacun expérimenté de n’avoir plus jamais recroisé une personne qui nous avait profondément touché, alors qu’elle habitait juste à côté. Et de tomber à l’autre bout du monde, dans la seule cabine téléphonique de la seule station-service désertique d’un hameau qui n’était même pas sur les cartes, sur notre institutrice de CE2. C’est parce que les histoires humaines sont comme des fils de tapisserie. Elles se nouent, se superposent, composent progressivement une image, et souvent, ne se rencontreront jamais sur le canevas. Parfois on choisit son point de croix, de temps à autre on porte la sienne, et à plusieurs, on crée des liens qui s’apparentent à une famille.

On dit qu’après des années, les vieux couples commencent à se ressembler. Ça marche avec les chiens aussi, et de toute façon, on fait foyer avec qui on veut. Ce qui fait du bien, c’est d’alterner. De pouvoir se réfugier chez les uns, après un grand bain des autres. Pour mieux revenir à la maison, comme les saumons, avec un plus grand crédit temps. Quel que soit le nom qu’on lui donne, les efforts qu’on fournit pour lui ressembler ou s’en dépêtrer, inépuisable source d’inspiration et d’identification, parfois en contradiction, la famille nous cueille là où, avec ou sans gênes, il y a du plaisir.

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Art

Texte : Hannah Walti

Matthias Garcia a créé un monde où le réel et l’irréel se mélangent dans une hybridation colorée qui fait vibrer les cordes les plus anciennes et secrètes des émotions fortes de l’enfance. L’artiste, qui a déjà établi une esthétique incroyablement forte à peine trois ans après sa sortie des Beaux-Arts, présente sa nouvelle exposition Mon chant sans sort.

Le conte préféré de Matthias Garcia, c’est La Petite Sirène, version Andersen, avec les aiguilles dans les pieds à la fin. Le jeune peintre parle de son exposition comme d’une réactualisation, au moins en partie, de son regard sur le destin de la sirène éponyme, tout en s’inspirant aussi du chant des sirènes de L’Odyssée. La date d’ouverture de ce solo show en octobre dernier, un vendredi 13, n’a certainement pas été choisie par hasard. En tout cas, puisqu’elle renvoie à une symbolique de superstitions, de magie et d’histoires racontées en marmonnant dans la cour de récré, elle convient parfaitement à l’œuvre de ce peintre qui semble comprendre presque trop bien les émotions pures de l’enfance. Lui qui, petit, dessinait « des sirènes, et beaucoup de diables », mais aussi des pyramides et des séances de psychanalyse imaginées, voudrait ainsi que l’on voie dans son travail actuel, « la conservation du regard d’enfant sur les choses du monde extérieur », mais sans omettre « le débat interne de la conscience de la mort ».

 

Entre deux rives

 

L’émotion et la narration, pour lui, « sont indissociables (…) La peinture figurative permet de propager des tentatives de narration, qui sont en même temps la figuration d’émotions. »

Dès lors, il crée des œuvres qui sont comme un portail, à l’huile ou à l’encre de Chine, vers un monde incroyablement attirant où se mêlent le concret et l’utopie. « C’est mon combat de tous les jours et je ne sais pas si j’arrive à doser proprement les deux. J’ai beaucoup été dans la surdose d’irréel pour attaquer le réel et maintenant, je cherche le point d’équilibre.” Et de reprendre : « Sur le plan formel, je dirais que les images que je produis sont la synthèse et le résultat de l’affrontement entre ce qui jaillit de mon imaginaire et des lois de la matière propre à la peinture, tandis que symboliquement, elles sont la somme des émotions traversées en tant qu’humain. » Des œuvres complexes, parfois tortueuses et colorées au point qu’on s’y perd presque si on les regarde trop longtemps, mais qui touchent immanquablement au cœur l’enfant que l’on est toujours et l’adulte qu’on est presque devenu.

 

“Mon chant sans sort” de Matthias Garcia, à la Galerie Sultana, 75 rue Beaubourg, Paris 3è, jusqu’au 25 novembre 2023.

 

 

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Art

Texte : Arthur Mayadoux
Photos Yohann Gozard

 

Artiste au croisement des disciplines et des savoirs, Floryan Varennes construit des objets issus d’une sorte de futur médiéval, en questionnant la société du care et de l’enfermement, mais surtout notre propre rapport à la violence.

 

Quelque part entre le conte, la chanson de geste ou le petit précis du Moyen-Âge, Floryan Varennes crée un univers singulier dans lequel on circule comme dans des cellules monastiques. Ses sculptures composées de prothèses médicales collectées ou fantasmées plongent le spectateur dans un temps suspendu. Chez lui, il est question de l’incarné, de la présence au monde, du sang et tout cela se fait via des mondes imaginaires, à l’instar de l’heroic fantasy qui infuse largement son œuvre. Au cœur de cette fantasmagorie, qui se dessine en d’imposantes installations, se trouve le sujet sensible de notre vulnérabilité. La fragilité des corps oppressés et des passions amoureuses se dit dans des armures translucides qui flottent quoique alourdies par de trop nombreux rivets (Matriarche, 2022) ou encore dans des armes de tournoi en verre (Amour toujours, Oblivion, 2020-2021) – si fragiles qu’on ne peut les toucher. C’est notre lien intime à la chair et aux os que Floryan Varennes interroge et ses dispositifs néo-chirurgicaux sont autant des instruments de contrainte que des révélateurs. Car chaque observation de ses œuvres nous fait passer à la Question pour faire surgir la vérité, notre vérité. C’est une machine infernale qui révèle l’humanité à elle-même : nous sommes des êtres physiques. C’est un retour au livre, au verbe premier de l’humanité faite de cruauté (qui vient de crudus, le sang, nous rappelle l’artiste). Chacune de ces œuvres est une catharsis, un espace où l’âme vient se remémorer à elle-même, un instant suspendu à l’extérieur de la brutalité du monde. On est à la lisière de l’expérience messianique quand on découvre le corps échoué de Floryan Varennes sur une plage dans Mirari : a life release, réalisée en collaboration avec Harriette Davey et Imogen Davey. L’artiste est humain parmi les humains mais transfiguré par l’intelligence artificielle. Comme face à une représentation du Christ, le spectateur est rappelé à son humanité par la présence d’une entité anthropomorphe sublimée. Dans un grand dénuement esthétique, à rebours de toute tentation baroque, on expérimente sa propre inconsistance. Poussière nous redeviendrons poussière, oui mais d’étoiles. Face à tant de beauté, comment ne pas tomber en adoration ?

Exposition L’Art dans les Chapelles, 32e éditions. 7 juillet / 17 septembre 2023 – Pontivy, Bretagne.

Exposition collective pendant le Voyage à Nantes,1er juillet au 3 septembre 2023, Nantes

 

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Texte : Elisabeth Clauss

Elles apparaissent par centaines chaque année et sont nombreuses à ne tenir que quelques saisons. Alors pourquoi créer une marque de mode aujourd’hui ?

D’autant que tandis que l’offre se démultiplie, la plupart des consommateurs ne portent pendant 90 % de leur temps, que 10 % de leurs vêtements. En réalité, la motivation des jeunes créateurs est sublime et échappe à la raison de ceux qui méconnaissent les mécanismes de la passion : la mode est un art impliqué, le plus immédiat des moyens d’expression. Portrait de quelques-uns de ces conteurs.

 

Les vêtements racontent les évolutions de la société, les accompagnent, les précèdent même quand on les comprend. Mais sur un marché de plus en plus embouteillé, on peut se demander ce qui pousse de jeunes créatifs à se lancer dans une course de fond qui leur coûtera des nuits blanches et souvent des boulots parallèles. Si un grand nombre d’étudiants en stylisme préfèrent se tourner d’emblée vers des contrats stables dans des studios de marques établies, certains sont mus par une urgence de partager, guidés par la mission impérieuse d’ajouter leur langage à l’époque. Ils bénéficient parfois de bourses et de prix qui leur permettent de structurer leur entreprise, à l’instar du Prix LVMH (une dotation de 300 000€ accompagnée d’un mentorat d’un an, dont ont bénéficié entre autres Marine Serre et Grace Wales Bonner), le Prix de l’ANDAM (300 000€ et un accompagnement d’un an également, qui a soutenu les jeunes marques Y/Project, Koché ou Atlein), ou le Festival de Mode, de Photographie et d’Accessoires à Hyères, dont le Grand Prix attribue 20 000€ ainsi que plusieurs opportunités de collaborations (avec les Métiers d’art de Chanel notamment). Animés d’une vocation à l’épreuve des difficultés qu’ils rencontreront, leur propos est durable par définition – les jeunes créateurs ne sont pas ceux qui alimentent la surproduction – et généralement avec des moyens limités, ils consacrent toute leur énergie à changer notre mo(n)de.

 

Ouest Paris – Arthur Robert, 32 ans

 

Parisien, formé à l’Atelier Chardon Savard, il avait préalablement étudié le droit pendant deux ans, avant de bifurquer vers le stylisme. « J’ai toujours été intéressé par la mode, même avant le lycée, mais je ne savais pas encore sous quelle forme l’exprimer. Je suivais le travail d’Hedi Slimane chez Dior, parce que je voulais ressembler à ses mannequins ! (rires) J’allais aussi au Printemps pour voir le corner Saint Laurent. Il se trouvait juste à côté de celui de Martin Margiela, dont j’ai découvert le travail à ce moment-là ». Par la suite vendeur dans la boutique de l’iconique designer belge rue de Grenelle, Arthur s’est détourné du droit (mais pas du chemin), l’année même où Margiela signait personnellement sa dernière collection, celle de ses vingt ans : « Ses fans défilaient pour s’offrir ce qui deviendrait des collectors, et tout ce milieu me fascinait ». En 2012, son diplôme de mode en poche, Arthur effectue un stage chez AMI Paris. « J’ai été embauché, et pendant les sept années suivantes, j’ai vu Alexandre Mattiussi développer sa marque en partant d’une toute petite équipe, ça m’a montré que c’était possible. Ça m’a aussi confirmé dans l’idée que je voulais signer desprojets personnels, en ayant toute latitude, prendre mes propres décisions créatives ». Sous la griffe « Ouest Paris », il a présenté sa première collection en 2022.

 

Ses « maîtres à créer ». « Ce que je trouve intéressant chez Margiela, c’est son identité de marque, qui est partout sans l’être. J’aime ses références à des pièces du passé, mais pas littérales, plutôt radicales. Et chez Helmut Lang, ce sont les détails fetish décalés sur le denim, imperceptibles au premier coup d’œil, mais subtilement transgressifs ».

 

Ses nuits blanches. « Elles sont liées au rôle de chef d’entreprise. Je travaille avec un associé sur la partie business, et j’ai deux stagiaires. Une entreprise ne dort jamais, c’est un enfant très turbulent. Cela représente un énorme travail de gestion, et du financement à la production, on rencontre des défis à chaque étape. »

 

Son moteur. « Tout est parti de cette marque hypothétique que je ne trouvais pas. J’avais une certaine expérience professionnelle avec des labels commerciaux, je savais que je voulais travailler le denim, brut exclusivement, avec un côté plus expérimental. Une forme de vêtements de travail qui ne seraient pas rétro, et toujours sous un angle référencé. Le denim rassemble des codes de communautés, notamment le vestiaire gay américain des années 70. Je voulais mélanger plusieurs univers, avec l’idée d’un uniforme un peu fetish, à l’échelle d’une marque. »




Pontet Eyewear – Hermès Pontet, 29 ans

 

Ce Marseillais aux perspectives larges est issu d’une lignée d’opticiens. Son arrière-grand-père était photographe, et travaillait déjà avec des lentilles et des optiques. Son grand-père ensuite a développé une activité dans la lunetterie ; les dîners de famille étaient animés de discussions où l’on parlait boutique. Lui-même opticien diplômé, Hermès a suivi une formation de deux ans en design de lunettes et a commencé à voler de ses propres ailes à 26 ans, quand il s’est senti limité dans l’évolution de ses créations. « Je suis plus proche de l’univers de la Méditerranée, je m’inscrivais moins dans un stylisme parisien. J’ai rapidement souhaité développer mon entreprise, prendre des risques, cultiver mon univers. » Il a fondé sa marque de lunettes optiques et solaires fin 2021, et signe chaque année une collection qui est une destination ; d’abord l’Égypte, puis la Grèce.

 

Naissance d’une vocation par la lorgnette. « Je suis parti de mon prénom, qui interpelle souvent : Hermès est le dieu de voyage, des confidences et du commerce. Je voulais mettre en valeur les villes anciennes de la Méditerranée, riches d’histoires, pour faire vivre chaque collection comme un nouveau voyage autour de la vision. »

 

Ses influences, son héritage. « Ma famille m’a soutenu dans la mesure où il s’agissait de la transmission d’une tradition, mais être designer de lunettes, c’est un métier différent de celui d’opticien. Cette marque est vraiment une aventure personnelle. J’adore raconter des histoires avec mes lunettes, dérouler un fil conducteur. » Thésée pas taiseux de la lunetterie moderne, Hermès nous a déjà fait visiter l’Égypte, avec des évocations de ses animaux emblématiques, et la Grèce avec des bleus transparents, lavés par le soleil. « Je travaille toujours à partir d’une inspiration narrative. J’ai créé un acétate translucide, fabriqué à base de fleurs de coton, habité de touches de couleurs denses, comme des écailles, qui évoquent les profondeurs du Nil. »

 

Ses défis. « Le principal, en tant que jeune entrepreneur, c’est d’arriver à se faire confiance. Je doute parfois, mais je reste également beaucoup dans l’écoute. Il faut aussi rapidement apprendre à rassurer les partenaires qui soutiennent le projet. Je me suis lancé tout seul, et si au départ, c’était intimidant, j’ai su rassembler autour de moi une équipe solide de sept personnes en interne, assez jeunes, et j’ai découvert toute la richesse du « travailler ensemble ». Il règne ici une atmosphère humaine fondamentale. »

 

Sa prochaine étape. « Développer la dimension commerciale de la marque, et prendre le temps de savourer le rythme d’une entreprise qui démarre, avec un fonctionnement sain, convivial, et qui n’est pas encore soumise à la pression d’un grand boom. »

                

Mipinta – Fernando Miró, 27 ans

 

Finaliste au Festival d’Hyères en 2022, son langage mode explore la masculinité extravagante. Ce Brésilien installé en Belgique où il a étudié le stylisme à La Cambre, développe sa marque via sa boutique en ligne, et dès le mois d’août, il participera à la Copenhague Fashion Week pour initier une nouvelle formule de production. Fernando est arrivé au vêtement par le théâtre, choisissant pour s’exprimer un art qui lui semblait offrir plus de débouchés. Sa détermination l’a poussé à faire le voyage depuis Belo Horizonte, sa ville natale, jusqu’à Bruxelles pour passer le concours d’entrée de la prestigieuse école belge. Un autre bel horizon, pour de nouvelles ouvertures.

 

Ses premières réflexions. « Dans ma jeunesse, j’étais dérangé par l’offre qui était disponible en matière de mode masculine. Je n’avais pas d’autre choix que de lancer ma propre maison, puisque ce que je rêvais de porter pendant toute mon adolescence, n’existait pas. Selon le même raisonnement, travailler pour quelqu’un d’autre n’aurait pas réglé mon problème. »

 

Sa différence. « Je propose des vêtements pour hommes qui présentent une masculinité assumée même si elle est décalée. Je ne refuse pas la masculinité, je ne veux pas habiller l’homme en femme, mais poser sur lui un regard plus affranchi et réaliste. Au début, je pensais m’adresser à des gens de mon âge, la vingtaine, mais finalement, les hommes les plus touchés par mes créations se sont révélés être des adultes de 40-50 ans, ou de jeunes adolescents qui ont envie d’être plus libres dans leurs expressions de la masculinité. Alors que les hommes de mon âge, 27 ans, ont finalement encore de nombreux blocages, et beaucoup plus de mal à s’identifier à cette forme de liberté. »

 

Son feu sacré. « Je me rappelle chaque matin les retours positifs que je reçois par rapport à mon travail, c’est encourageant. Je regarde là où je veux arriver et je marche dans cette direction, sans m’arrêter face aux embûches. Que le chemin soit droit ou courbe, je continue. Ce sont les rencontres, les réactions enthousiastes ou même négatives, qui me motivent. Il est arrivé que des enfants manifestent des réactions très touchantes en découvrant mes vêtements. Au Festival d’Hyères par exemple, un petit garçon de huit ans m’a témoigné combien il était content de découvrir mon travail. Il avait vu le défilé sur Internet avec sa mère, et il l’avait tellement aimé qu’elle l’a emmené au show-room le lendemain. C’était un moment très mignon, comme si je rencontrais le petit Fernando qui ne trouvait pas de vêtements pour se raconter. »

marke brand – Mario Keine, 31 ans

 

Il est seul maître à bord de sa barque, pardon, de sa marke, qu’il a fondée fin 2021 avec d’abord une collection de bijoux, puis une ligne de vêtements qui a suivi dans la foulée. Diplômé en Fashion Design and Communication à Düsseldorf, il a toujours voulu créer sa maison, mais a commencé par travailler en agences de communication, « une double formation, en prévision ». Son projet, initié fin 2019, a mûri à la faveur du temps dégagé par le confinement. Sa première collection était inspirée par l’imaginaire de son enfance, époque où les vêtements (très) anciens le captivaient : « A l’école maternelle, je dessinais des crinolines. Mes mood boards sont pleins de pièces historiques que j’interprète en regard de mes obsessions esthétiques, comme les détails marins de mes vacances en famille. Plus on s’implique personnellement, plus le résultat est sincère et touchant. Quand on travaille sous un angle émotionnel, on crée des collections uniques. »

 

Son chemin vers l’indépendance. « Avant de fonder ma marque, j’ai travaillé pour Bel Epok, une agence de design, où j’occupais la fonction de directeur artistique et gérais la communication d’autres marques. Une excellente formation avant de lancer sa propre entreprise. J’ai effectué des stages à Paris, en agence de production, design et communication, où j’ai appris ce dont j’avais besoin pour me lancer et grandir. C’était un rythme haletant, très inspirant. »

 

Son auto-gestion. « Tout faire tout seul, pour l’instant, c’est surtout une décision rationnelle et financière, mais c’est aussi parce que la communication se fait facilement grâce aux réseaux sociaux. S’occuper de tout, de la création du site jusqu’au développement des prototypes, c’est un travail énorme. Ma famille m’a proposé de l’aide, mais je préférais prendre mes propres risques, sans mettre en jeu l’argent de mes proches. C’était une décision morale, et j’ai opté pour un crédit. Cependant, je suis ouvert à nouer des partenariats. »

 

Ses processus de fabrication. « Les bijoux sont fabriqués en Italie et assemblées en Allemagne. Les vêtements, développés et produits à 30 minutes de Cologne, où je vis. Une petite partie est faite en Pologne. Je veux que la production soit proche de moi, locale, par souci de durabilité et de responsabilité. La collection de l’hiver prochain sera la deuxième, et je participe déjà à des showrooms et des festivals de mode. Je suis aussi membre du Fashion Council Germany. Mais je ne veux pas me précipiter : j’ai besoin de temps pour concevoir une veste parfaite, un manteau qui durera, pour développer des patrons, pour poser les bases de mon identité. »

Du temps pour un job alimentaire ? « Pas du tout ! (rires) Je travaille toute la journée. »

 

Jeanne Friot (marque éponyme), 28 ans

 

Parisienne, elle est diplômée de l’Ecole Duperré et de l’IFM. Après ses études, elle a effectué un long stage chez Balenciaga, qui était sa maison rêvée. Mais elle voulait aussi créer sa marque, engagée, très personnelle. « Ma première collection est sortie une semaine avant le premier confinement. Comme tout était à l’arrêt et le timing de la mode ralenti, ça m’a permis de me concentrer sur l’image de ma marque, de créer des vidéos personnelles, de réfléchir à mes collections dans un tempo plus rationnel qui s’est révélé être une opportunité pour travailler à mon rythme et installer mon identité. »

 

Son besoin de s’exprimer. « Dès que j’ai commencé à faire de la mode, j’ai réfléchi à la question des collections « homme » ou « femme », mais je pensais qu’il était plus intéressant et important de développer des vêtements qui soient le résultat d’une rencontre esthétique et élective, plutôt que des pièces assignées à des genres. Comme je suis queer, je voulais aussi représenter ma communauté. Depuis longtemps, je puisais autant dans le vestiaire masculin que féminin, et mes amis hommes qui voulaient adopter des pièces femmes trouvaient finalement peu de propositions. Parallèlement, j’ai été influencée par des lectures, Paul B. Preciado, Judith Butler, Virginie Despentes… »

 

Son fonctionnement. « J’ai lancé ma marque en fonds propres, parce que j’étais aussi styliste photo et directrice artistique pour des magazines de mode et des groupes de musiques. Si des investisseurs se présentent, ça me donnera de la latitude dans la production, mais je veux rester majoritaire dans ma marque. Toute la collection est fabriquée en France, dans des ateliers situés juste à côté de mes bureaux, à Paris, à La Caserne. C’est un incubateur de talents qui génère de l’entraide et de l’émulation entre des jeunes designers, qui se partagent les espaces de production mis à disposition. »

 

Ses marathons. « Cumuler plusieurs jobs, ça rend la gestion de mon temps assez compliquée. Une autre difficulté, comme je souhaite développer une marque 100 % durable, est de continuer à produire avec des dead stocks (ndlr : surplus de tissus non utilisés par de plus grandes marques), ce qui impose de jongler avec des quantités limitées, la fabrication étant dépendante de la disponibilité des matières. Or je tiens à continuer à travailler avec des matériaux nobles, de qualité, vérifiés. Plus la marque grandit, plus je dois réfléchir au choix des tissus, pour équilibrer ventes et créations, sans que cela ne devienne frustrant. Le vrai défi, c’est de cultiver ses valeurs, tout en se déployant économiquement. »

 

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Art

Texte : Carine Chenaux

A Paris, la Galleria Continua consacre son vaste espace à la redécouverte d’un artiste majeur disparu à l’orée du millénaire. Né à Shangaï et venu en France dans les 80’s pour s’ouvrir à d’autres mondes parce qu’il savait que son temps lui était compté, Chen Zhen n’aura eu de cesse dès lors, de construire des ponts entre Orient et Occident et de réfléchir – avec préscience – au devenir de l’être humain face à la mondialisation.

Présente depuis San Gimignano et Rome jusqu’à des succursales à Pékin, São Paulo, La Havane, Dubaï ou Pékin, la très active et intelligente Galleria Continua avait réalisé début 2021, la prouesse de s’imposer à Paris lors du confinement. Rare adresse culturelle alors autorisée à montrer de l’art – une très remarquée exposition de JR – puisqu’elle délivrait dans le même temps, d’essentiels et jubilatoires produits d’épicerie, elle témoignait ainsi déjà de son ancrage dans le réel comme de sa capacité à garder nos esprits à l’affût. Presque trois ans plus tard, la galerie s’est fait une vraie place dans la capitale et ne cesse de nous emmener sur le terrain de la découverte et de la réflexion. C’est ainsi particulièrement le cas avec son dernier événement en date, une exposition monographique de l’artiste franco-chinois Chen Zhen, que ses fondateurs avaient découvert lors de la participation de celui-ci à la Biennale de Venise en 1999.

Un artiste entre deux rives

Né en 1955 à Shangaï dans une famille de médecins francophones, l’artiste, peintre de talent, découvre à vingt-cinq ans, qu’il est atteint d’une maladie incurable, l’anémie hémolytique. Une annonce qui dès lors évidemment, bouleverse sa vision du temps, mais change aussi sa conception de l’espace. Aussi, si le premier lui fait défaut, l’autre paraît instantanément s’ouvrir à lui. Et si à partir de là, il voyagera beaucoup, c’est en France, à Paris, qu’il décide de s’installer, pour être au plus près de la création comme pour s’ouvrir à un nouveau mode de vie qu’il ne connaît que de loin. Devenu portraitiste à Montmartre par nécessité, Chen Zhen a là tout le loisir de s’interroger sur son statut de « sans-abri culturel », ayant perdu ses attaches sans pour autant en avoir vraiment trouvé de nouvelles. Conscient qu’à l’heure des migrations, ce sentiment de non-appartenance est en passe de se généraliser, il décide de consacrer son œuvre à ce qu’il appelle la « transexpérience », soit l’art qui naît de la rencontre entre les différentes cultures et le mélange des identités. Avec en filigrane toujours, la façon dont les exilés et les nomades vivent chacun à leur façon, leur déracinement.

Un virtuose de l’installation

La démarche implique un changement radical dans son travail. Cela en sera fini pour lui de la peinture, à l’exception d’huiles abstraites réalisées au Tibet et d’une série de (magnifiques) tableaux représentant un à un les visages des membres d’une communauté de Shakers américains. Utile, cette dernière expérience aura permis à l’artiste de pousser au plus loin sa découverte des autres « mondes », avec ce groupe d’individus minimalistes et très pieux, qui s’ils peuvent entrer en transe via la prière, savent suspendre le temps au fil de chaque geste de leur quotidien. Pour le reste, Chen Zhen se consacrera désormais exclusivement à la réalisation d’installations très différentes esthétiquement, mais avec pour points communs de questionner les interactions entre les peuples ou encore les relations qu’entretient l’humain avec la nature autant qu’avec la société de consommation. Sans omettre bien sûr, à l’heure où le Moyen-Orient s’embrase déjà, de s’interroger sur les conflits armés (représentés par une multitude de jouets miniatures, du mobilier-instrument de percussion ou des unes de magazines), mais aussi sur la paix et l’espoir que suscitent les jeunes générations (symbolisées dans Un village sans frontières, par des bougies multicolores sur des chaises d’enfant).

Des pièces-maîtresses de haut vol

Parmi les œuvres présentées sur les trois étages de la galerie, certaines, parmi les plus imposantes, amusent ou émeuvent particulièrement, sans que cela soit au détriment du message qu’elles transmettent. La plus décalée peut-être, visible depuis la rue, représente ainsi un mur de roses, qui lorsqu’on s’approche d’elles, se révèlent factices. Puis c’est quand on comprend qu’elles sont plantées dans autant de… bouses de vaches séchées, que le titre de l’installation, Le Produit naturel / Le Produit artificiel, prend tout son sens. Pour ses compositions, Chen Zhen, déjà adepte du recyclage, aura utilisé quantités d’objets chinés ou récupérés dans la rue. C’est le cas notamment pour l’incroyable ensemble intitulé Purification Room (2000), installation qui se réinvente à chaque fois et évolue au fil de son temps d’exposition, où des objets de consommation (chariot de courses, ordinateurs…) sont recouverts d’une épaisse couche d’argile, ainsi « nettoyés » par l’art, qui les rapproche de la nature. Mais on ne pourra qu’être particulièrement touché par les représentations éminemment poétiques que l’artiste aura fait du corps humain après s’être initié à la philosophie de la médecine chinoise. En concevant des organes lumineux (Zen Garden) ou translucides (Crystal Landscape of Inner Body), Chen Zhen évoque tour à tour la magie, la beauté, la complexité, mais surtout la fragilité de l’être. Toutes deux réalisées l’année de sa disparition, en 2000, ces réalisations apparaissent ainsi un peu comme la morale d’une histoire du réel contée par un artiste génial, soucieux du monde et visionnaire.

« Chen Zhen, Double Exil », jusqu’au 6 janvier 2024, Galleria Continua Paris, 87 rue du Temple, Paris 3ème. A noter qu’en partenariat avec la célèbre Gelateria Dondoli de San Gimignano, qui a installé un corner en son rez-de-chaussée, la galerie propose à chaque exposition, un parfum de glace exclusif, en relation avec l’événement. Goûter le rose-litchi du moment est donc (presque) un passage obligé.

A voir aussi jusqu’au 24 décembre, « Aurore » de Julio Le Parc, « 60 ans d’identités et d’altérités » de Michelangelo Pistoletto, et la première partie de l’exposition collective « The Ability to dream », dans le très bel espace de la galerie, installé en Seine-et-Marne, Les Moulins.

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