Art

Texte : Carine Chenaux


Seule manifestation internationale consacrée, comme son titre l’indique, au(x) Portrait(s), le Rendez-Vous Photographique de Vichy est de retour cet été pour une onzième édition. Au fil de neuf expositions, on y admirera « la mécanique des corps », fil rouge de l’événement, mais on tentera aussi de comprendre comment et surtout pourquoi un artiste choisit d’étudier les autres pour construire son œuvre.

« Les plus merveilleuses des représentations d’êtres humains, réalisées avec une attention absolue, tout comme les ressemblances obtenues grâce à un savoir-faire durement acquis, ont une grande valeur culturelle. Qu’ils soient fidèles à l’apparence du modèle ou qu’ils expriment son caractère, les portraits peints ont une signification majeure, liée à notre intérêt commun pour l’observation et l’apprentissage d’autrui. », considérait en 2015 le grand historien Sandy Naire, alors directeur d’un musée parmi les plus fascinants du monde, la National Portrait Gallery à Londres. Une analyse alors circonscrite à la peinture, mais exprimée selon lui, dans un monde saturé de représentations de visages. Et que l’on pourra donc aussi aisément appliquer au portrait photographique. Car pour peu qu’on emprunte la voie artistique, qu’importe le médium : à chaque fois, le propos est de scruter l’âme humaine si ce n’est en prime, de constater les mutations de la société. Voire plus simplement de pénétrer d’étonnants microcosmes, comme l’aura révélé récemment la très réussie commande nationale « Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire », financée par le Ministère de la culture et pilotée par la BnF.

Miss et militaires

Deux des séries livrées à cette occasion sont donc à juste titre mises à l’honneur par le Rendez-Vous de Vichy. A commencer par « Allons enfants ! », réalisée par Stéphane Lavoué. Fils et petit-fils de militaire, le photographe est ainsi parti à la rencontre de jeunes engagés, élèves sous-officiers ou nouvelles recrues de Saint-Cyr, dont la physionomie parfois encore juvénile contraste avec la rigueur de l’institution. Une manière de s’interroger sur l’étonnant engouement que suscite l’armée depuis le confinement et le conflit en Ukraine.

Immergé dans un monde très différent, Gilles Leimdorfer, habitué à revisiter avec humour et sensibilité, « les lieux communs de la France éternelle » a su lui aussi s’illustrer. Il a ici choisi de remettre en lumière d’anciennes Miss, couronnées alors que les concours n’étaient pas encore télévisés ; retraçant ainsi autant de parcours de vie et rappelant que « Les reines de beauté sont aussi des femmes âgées. », selon le titre de l’un de ses clichés.

Are you normal ? No !!!

Mais parmi les propositions de cette nouvelle édition, c’est la grande rétrospective « La Beauté est un leurre » présentée en extérieur par le cultissime photographe néerlandais Erwin Olaf qui promet d’attirer le plus vaste public. L’occasion pour le spectateur, de (re)découvrir les mises en scène parfaites et les portraits saisissants que ce grand nom de la discipline réalise depuis quatre décennies, en n’oubliant jamais de regarder au-delà de l’image. Car ainsi que le définit la galerie Rabouan Moussion qui le représente : « L’extrême sophistication de ses descriptions et la précision de l’ensemble des éléments visuels confèrent à ses photographies une apparente sérénité. Celle-ci dissimule un sous-texte évoquant des questions profondément humaines et sociales : déclin de l’Occident, tabous sociétaux, politiques de genre, problématiques queer… et une interrogation récurrente : qu’est-ce que la normalité ? » Une question que se pose aussi le Belge Jacques Sonck, lui qui, en noir et blanc, immortalise depuis 1970 en Flandres, les originaux, les excentriques, ceux qui détonent et se démarquent des autres : « C’est la diversité́ qui m’intéresse, assène-t-il ainsi. Peut-être que grâce à mon travail, les gens apprennent à voir différemment, avec une curiosité empathique envers mes sujets. Nous sommes tous différents, tel est mon leitmotiv, et que nous en soyons fiers en est le message. » Une philosophie en phase avec celle des équipes de Portrait(s) et de sa directrice artistique Fanny Dupêchez, mues par l’envie de d’éviter les lieux communs, tout en multipliant les surprises comme les espaces de transmission ou d’enseignements. Et ce, y compris, comme il est de coutume ici, en faisant une belle place au côté des artistes, aux autres métiers de l’image (cette fois, les rôles respectifs du producteur et de l’agent). De quoi vraiment appréhender ce que les photos racontent dans leur ensemble, par-delà les simples regards.

 

Portrait(s), Le Rendez-vous photographique de Vichy, du 23 juin au 1er octobre 2023. Esplanade du Lac d’Allier, Grand Établissement Thermal, Hall des Sources, Parvis de la Gare à Vichy (03). Entrée libre.

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