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Texte : Elisabeth Clauss

Elles apparaissent par centaines chaque année et sont nombreuses à ne tenir que quelques saisons. Alors pourquoi créer une marque de mode aujourd’hui ?

D’autant que tandis que l’offre se démultiplie, la plupart des consommateurs ne portent pendant 90 % de leur temps, que 10 % de leurs vêtements. En réalité, la motivation des jeunes créateurs est sublime et échappe à la raison de ceux qui méconnaissent les mécanismes de la passion : la mode est un art impliqué, le plus immédiat des moyens d’expression. Portrait de quelques-uns de ces conteurs.

 

Les vêtements racontent les évolutions de la société, les accompagnent, les précèdent même quand on les comprend. Mais sur un marché de plus en plus embouteillé, on peut se demander ce qui pousse de jeunes créatifs à se lancer dans une course de fond qui leur coûtera des nuits blanches et souvent des boulots parallèles. Si un grand nombre d’étudiants en stylisme préfèrent se tourner d’emblée vers des contrats stables dans des studios de marques établies, certains sont mus par une urgence de partager, guidés par la mission impérieuse d’ajouter leur langage à l’époque. Ils bénéficient parfois de bourses et de prix qui leur permettent de structurer leur entreprise, à l’instar du Prix LVMH (une dotation de 300 000€ accompagnée d’un mentorat d’un an, dont ont bénéficié entre autres Marine Serre et Grace Wales Bonner), le Prix de l’ANDAM (300 000€ et un accompagnement d’un an également, qui a soutenu les jeunes marques Y/Project, Koché ou Atlein), ou le Festival de Mode, de Photographie et d’Accessoires à Hyères, dont le Grand Prix attribue 20 000€ ainsi que plusieurs opportunités de collaborations (avec les Métiers d’art de Chanel notamment). Animés d’une vocation à l’épreuve des difficultés qu’ils rencontreront, leur propos est durable par définition – les jeunes créateurs ne sont pas ceux qui alimentent la surproduction – et généralement avec des moyens limités, ils consacrent toute leur énergie à changer notre mo(n)de.

 

Ouest Paris – Arthur Robert, 32 ans

 

Parisien, formé à l’Atelier Chardon Savard, il avait préalablement étudié le droit pendant deux ans, avant de bifurquer vers le stylisme. « J’ai toujours été intéressé par la mode, même avant le lycée, mais je ne savais pas encore sous quelle forme l’exprimer. Je suivais le travail d’Hedi Slimane chez Dior, parce que je voulais ressembler à ses mannequins ! (rires) J’allais aussi au Printemps pour voir le corner Saint Laurent. Il se trouvait juste à côté de celui de Martin Margiela, dont j’ai découvert le travail à ce moment-là ». Par la suite vendeur dans la boutique de l’iconique designer belge rue de Grenelle, Arthur s’est détourné du droit (mais pas du chemin), l’année même où Margiela signait personnellement sa dernière collection, celle de ses vingt ans : « Ses fans défilaient pour s’offrir ce qui deviendrait des collectors, et tout ce milieu me fascinait ». En 2012, son diplôme de mode en poche, Arthur effectue un stage chez AMI Paris. « J’ai été embauché, et pendant les sept années suivantes, j’ai vu Alexandre Mattiussi développer sa marque en partant d’une toute petite équipe, ça m’a montré que c’était possible. Ça m’a aussi confirmé dans l’idée que je voulais signer desprojets personnels, en ayant toute latitude, prendre mes propres décisions créatives ». Sous la griffe « Ouest Paris », il a présenté sa première collection en 2022.

 

Ses « maîtres à créer ». « Ce que je trouve intéressant chez Margiela, c’est son identité de marque, qui est partout sans l’être. J’aime ses références à des pièces du passé, mais pas littérales, plutôt radicales. Et chez Helmut Lang, ce sont les détails fetish décalés sur le denim, imperceptibles au premier coup d’œil, mais subtilement transgressifs ».

 

Ses nuits blanches. « Elles sont liées au rôle de chef d’entreprise. Je travaille avec un associé sur la partie business, et j’ai deux stagiaires. Une entreprise ne dort jamais, c’est un enfant très turbulent. Cela représente un énorme travail de gestion, et du financement à la production, on rencontre des défis à chaque étape. »

 

Son moteur. « Tout est parti de cette marque hypothétique que je ne trouvais pas. J’avais une certaine expérience professionnelle avec des labels commerciaux, je savais que je voulais travailler le denim, brut exclusivement, avec un côté plus expérimental. Une forme de vêtements de travail qui ne seraient pas rétro, et toujours sous un angle référencé. Le denim rassemble des codes de communautés, notamment le vestiaire gay américain des années 70. Je voulais mélanger plusieurs univers, avec l’idée d’un uniforme un peu fetish, à l’échelle d’une marque. »




Pontet Eyewear – Hermès Pontet, 29 ans

 

Ce Marseillais aux perspectives larges est issu d’une lignée d’opticiens. Son arrière-grand-père était photographe, et travaillait déjà avec des lentilles et des optiques. Son grand-père ensuite a développé une activité dans la lunetterie ; les dîners de famille étaient animés de discussions où l’on parlait boutique. Lui-même opticien diplômé, Hermès a suivi une formation de deux ans en design de lunettes et a commencé à voler de ses propres ailes à 26 ans, quand il s’est senti limité dans l’évolution de ses créations. « Je suis plus proche de l’univers de la Méditerranée, je m’inscrivais moins dans un stylisme parisien. J’ai rapidement souhaité développer mon entreprise, prendre des risques, cultiver mon univers. » Il a fondé sa marque de lunettes optiques et solaires fin 2021, et signe chaque année une collection qui est une destination ; d’abord l’Égypte, puis la Grèce.

 

Naissance d’une vocation par la lorgnette. « Je suis parti de mon prénom, qui interpelle souvent : Hermès est le dieu de voyage, des confidences et du commerce. Je voulais mettre en valeur les villes anciennes de la Méditerranée, riches d’histoires, pour faire vivre chaque collection comme un nouveau voyage autour de la vision. »

 

Ses influences, son héritage. « Ma famille m’a soutenu dans la mesure où il s’agissait de la transmission d’une tradition, mais être designer de lunettes, c’est un métier différent de celui d’opticien. Cette marque est vraiment une aventure personnelle. J’adore raconter des histoires avec mes lunettes, dérouler un fil conducteur. » Thésée pas taiseux de la lunetterie moderne, Hermès nous a déjà fait visiter l’Égypte, avec des évocations de ses animaux emblématiques, et la Grèce avec des bleus transparents, lavés par le soleil. « Je travaille toujours à partir d’une inspiration narrative. J’ai créé un acétate translucide, fabriqué à base de fleurs de coton, habité de touches de couleurs denses, comme des écailles, qui évoquent les profondeurs du Nil. »

 

Ses défis. « Le principal, en tant que jeune entrepreneur, c’est d’arriver à se faire confiance. Je doute parfois, mais je reste également beaucoup dans l’écoute. Il faut aussi rapidement apprendre à rassurer les partenaires qui soutiennent le projet. Je me suis lancé tout seul, et si au départ, c’était intimidant, j’ai su rassembler autour de moi une équipe solide de sept personnes en interne, assez jeunes, et j’ai découvert toute la richesse du « travailler ensemble ». Il règne ici une atmosphère humaine fondamentale. »

 

Sa prochaine étape. « Développer la dimension commerciale de la marque, et prendre le temps de savourer le rythme d’une entreprise qui démarre, avec un fonctionnement sain, convivial, et qui n’est pas encore soumise à la pression d’un grand boom. »

                

Mipinta – Fernando Miró, 27 ans

 

Finaliste au Festival d’Hyères en 2022, son langage mode explore la masculinité extravagante. Ce Brésilien installé en Belgique où il a étudié le stylisme à La Cambre, développe sa marque via sa boutique en ligne, et dès le mois d’août, il participera à la Copenhague Fashion Week pour initier une nouvelle formule de production. Fernando est arrivé au vêtement par le théâtre, choisissant pour s’exprimer un art qui lui semblait offrir plus de débouchés. Sa détermination l’a poussé à faire le voyage depuis Belo Horizonte, sa ville natale, jusqu’à Bruxelles pour passer le concours d’entrée de la prestigieuse école belge. Un autre bel horizon, pour de nouvelles ouvertures.

 

Ses premières réflexions. « Dans ma jeunesse, j’étais dérangé par l’offre qui était disponible en matière de mode masculine. Je n’avais pas d’autre choix que de lancer ma propre maison, puisque ce que je rêvais de porter pendant toute mon adolescence, n’existait pas. Selon le même raisonnement, travailler pour quelqu’un d’autre n’aurait pas réglé mon problème. »

 

Sa différence. « Je propose des vêtements pour hommes qui présentent une masculinité assumée même si elle est décalée. Je ne refuse pas la masculinité, je ne veux pas habiller l’homme en femme, mais poser sur lui un regard plus affranchi et réaliste. Au début, je pensais m’adresser à des gens de mon âge, la vingtaine, mais finalement, les hommes les plus touchés par mes créations se sont révélés être des adultes de 40-50 ans, ou de jeunes adolescents qui ont envie d’être plus libres dans leurs expressions de la masculinité. Alors que les hommes de mon âge, 27 ans, ont finalement encore de nombreux blocages, et beaucoup plus de mal à s’identifier à cette forme de liberté. »

 

Son feu sacré. « Je me rappelle chaque matin les retours positifs que je reçois par rapport à mon travail, c’est encourageant. Je regarde là où je veux arriver et je marche dans cette direction, sans m’arrêter face aux embûches. Que le chemin soit droit ou courbe, je continue. Ce sont les rencontres, les réactions enthousiastes ou même négatives, qui me motivent. Il est arrivé que des enfants manifestent des réactions très touchantes en découvrant mes vêtements. Au Festival d’Hyères par exemple, un petit garçon de huit ans m’a témoigné combien il était content de découvrir mon travail. Il avait vu le défilé sur Internet avec sa mère, et il l’avait tellement aimé qu’elle l’a emmené au show-room le lendemain. C’était un moment très mignon, comme si je rencontrais le petit Fernando qui ne trouvait pas de vêtements pour se raconter. »

marke brand – Mario Keine, 31 ans

 

Il est seul maître à bord de sa barque, pardon, de sa marke, qu’il a fondée fin 2021 avec d’abord une collection de bijoux, puis une ligne de vêtements qui a suivi dans la foulée. Diplômé en Fashion Design and Communication à Düsseldorf, il a toujours voulu créer sa maison, mais a commencé par travailler en agences de communication, « une double formation, en prévision ». Son projet, initié fin 2019, a mûri à la faveur du temps dégagé par le confinement. Sa première collection était inspirée par l’imaginaire de son enfance, époque où les vêtements (très) anciens le captivaient : « A l’école maternelle, je dessinais des crinolines. Mes mood boards sont pleins de pièces historiques que j’interprète en regard de mes obsessions esthétiques, comme les détails marins de mes vacances en famille. Plus on s’implique personnellement, plus le résultat est sincère et touchant. Quand on travaille sous un angle émotionnel, on crée des collections uniques. »

 

Son chemin vers l’indépendance. « Avant de fonder ma marque, j’ai travaillé pour Bel Epok, une agence de design, où j’occupais la fonction de directeur artistique et gérais la communication d’autres marques. Une excellente formation avant de lancer sa propre entreprise. J’ai effectué des stages à Paris, en agence de production, design et communication, où j’ai appris ce dont j’avais besoin pour me lancer et grandir. C’était un rythme haletant, très inspirant. »

 

Son auto-gestion. « Tout faire tout seul, pour l’instant, c’est surtout une décision rationnelle et financière, mais c’est aussi parce que la communication se fait facilement grâce aux réseaux sociaux. S’occuper de tout, de la création du site jusqu’au développement des prototypes, c’est un travail énorme. Ma famille m’a proposé de l’aide, mais je préférais prendre mes propres risques, sans mettre en jeu l’argent de mes proches. C’était une décision morale, et j’ai opté pour un crédit. Cependant, je suis ouvert à nouer des partenariats. »

 

Ses processus de fabrication. « Les bijoux sont fabriqués en Italie et assemblées en Allemagne. Les vêtements, développés et produits à 30 minutes de Cologne, où je vis. Une petite partie est faite en Pologne. Je veux que la production soit proche de moi, locale, par souci de durabilité et de responsabilité. La collection de l’hiver prochain sera la deuxième, et je participe déjà à des showrooms et des festivals de mode. Je suis aussi membre du Fashion Council Germany. Mais je ne veux pas me précipiter : j’ai besoin de temps pour concevoir une veste parfaite, un manteau qui durera, pour développer des patrons, pour poser les bases de mon identité. »

Du temps pour un job alimentaire ? « Pas du tout ! (rires) Je travaille toute la journée. »

 

Jeanne Friot (marque éponyme), 28 ans

 

Parisienne, elle est diplômée de l’Ecole Duperré et de l’IFM. Après ses études, elle a effectué un long stage chez Balenciaga, qui était sa maison rêvée. Mais elle voulait aussi créer sa marque, engagée, très personnelle. « Ma première collection est sortie une semaine avant le premier confinement. Comme tout était à l’arrêt et le timing de la mode ralenti, ça m’a permis de me concentrer sur l’image de ma marque, de créer des vidéos personnelles, de réfléchir à mes collections dans un tempo plus rationnel qui s’est révélé être une opportunité pour travailler à mon rythme et installer mon identité. »

 

Son besoin de s’exprimer. « Dès que j’ai commencé à faire de la mode, j’ai réfléchi à la question des collections « homme » ou « femme », mais je pensais qu’il était plus intéressant et important de développer des vêtements qui soient le résultat d’une rencontre esthétique et élective, plutôt que des pièces assignées à des genres. Comme je suis queer, je voulais aussi représenter ma communauté. Depuis longtemps, je puisais autant dans le vestiaire masculin que féminin, et mes amis hommes qui voulaient adopter des pièces femmes trouvaient finalement peu de propositions. Parallèlement, j’ai été influencée par des lectures, Paul B. Preciado, Judith Butler, Virginie Despentes… »

 

Son fonctionnement. « J’ai lancé ma marque en fonds propres, parce que j’étais aussi styliste photo et directrice artistique pour des magazines de mode et des groupes de musiques. Si des investisseurs se présentent, ça me donnera de la latitude dans la production, mais je veux rester majoritaire dans ma marque. Toute la collection est fabriquée en France, dans des ateliers situés juste à côté de mes bureaux, à Paris, à La Caserne. C’est un incubateur de talents qui génère de l’entraide et de l’émulation entre des jeunes designers, qui se partagent les espaces de production mis à disposition. »

 

Ses marathons. « Cumuler plusieurs jobs, ça rend la gestion de mon temps assez compliquée. Une autre difficulté, comme je souhaite développer une marque 100 % durable, est de continuer à produire avec des dead stocks (ndlr : surplus de tissus non utilisés par de plus grandes marques), ce qui impose de jongler avec des quantités limitées, la fabrication étant dépendante de la disponibilité des matières. Or je tiens à continuer à travailler avec des matériaux nobles, de qualité, vérifiés. Plus la marque grandit, plus je dois réfléchir au choix des tissus, pour équilibrer ventes et créations, sans que cela ne devienne frustrant. Le vrai défi, c’est de cultiver ses valeurs, tout en se déployant économiquement. »

 

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Texte : Elisabeth Clauss

Depuis quelques saisons, des silhouettes masculines ont fait leur apparition sur les podiums des présentations Haute Couture à Paris. Chez Balenciaga, Valentino ou Maison Margiela, l’Homme devient un nouveau sujet d’attention, l’expression d’un luxe différent, hors des sentiers battus du tailoring traditionnel.

Habituellement terrain d’expérimentation de l’excellence pour des maisons rares aux savoir-faire qui épinglent le sublime, la Couture, art appliqué pour collectionneurs avisés, était réservée à la mode Femme. Pour des créations sur-mesure aux détails millimétrés, les hommes, eux, avaient les artisans tailleurs et des marques prestigieuses de prêt-à-porter. Mais la Haute Couture, c’est un travail différent. Des centaines d’heures d’ouvrage, un laboratoire de techniques poussées par une intrinsèque exigence de perfection. Chez la Femme, cette création se traduit généralement par des tenues précieuses, qu’on commande pour une occasion. Ce sont des robes et des bustiers, des fourreaux et des manteaux ultra sophistiqués. Mais dans son nouveau pendant masculin, outre le costume d’une précision d’orfèvre comme on en a vu lors des défilés de juillet dernier chez Balenciaga ou Alexandre Vauthier, la Couture joue plus volontiers le flou, le luxe qui murmure, presque pour tous les jours. Un haut de gamme qu’on dirait casual, mais qu’on reconnaît entre soi.

Le savoir-faire comme mode d’expression

Demna, Directeur artistique de Balenciaga subversif et bougeur de lignes, a appliqué à sa dernière collection Couture les éléments fort de sa signature : des volumes démesurés, des épaules démultipliant la carrure, des longueurs de pardessus qui frôlent la traîne. A propos de la liberté qu’offre cette bulle singulière dans la mode, il souligne : « Il n’y a pas qu’un concept en Couture, c’est un exercice de conception dans sa forme la plus pure, la relation entre le corps et le vêtement ». Dans cette exaltation d’exploration, il a répliqué des codes du luxe – la fourrure notamment – sous forme de trompe-l’œil sur des manteaux-peignoirs, il a réinventé des cols hauts qui évoquent ceux des capes des Carpates, et il a rallongé le bout des chaussures (l’homme moderne méritant d’être stable quand il avance vers sa nouvelle ère). Sous son geste, le cachemire a été réinterprété à partir d’un tricot expérimental sculpté à chaud pour raconter le vent, et directement inspiré des créations de Cristóbal Balenciaga ; d’autres pièces ont fait appel à des techniques inventives pour proposer une parka cocon en coton technique thermoscellé, notamment. « En prêt-à-porter, je me concentre sur le fait de créer du désir à travers la mode. Et je consacre la Couture au développement de mon esthétique de l’élégance et de la beauté. » Tout est là : l’exclusivité, l’innovation, et un très haut niveau de réalisation. Mais aussi, et surtout, le décalage cher au créateur qui, de directeur artistique, s’affirme plus chaque saison comme un couturier contemporain. Avec des impératifs commerciaux évidemment, intelligemment intégrés à un hyperréalisme qui renforcent l’identité actuelle de cette maison historique. Demna analyse : « Etant très curieux, ma motivation est toujours d’utiliser la mode comme une plateforme non seulement pour la faire évoluer et la moderniser, mais aussi de l’utiliser comme facteur d’impact social et culturel. » Sous sa houlette, Balenciaga présente une collection Couture par an, pour laquelle il a élaboré des pièces en denim, tissu lié au streetwear. Le jean en Couture, c’est aussi la marque des trublions de la mode, de ceux qui bougent les cadres et secouent les acceptions. Des Margiela et des Gaultier. Pour cet hiver, Demna a donc livré sa vision d’un denim post-punk, coupé avec science, upgradé avec insolence. Un développement complémentaire du marché de la Couture traditionnelle : les occasions de la porter elles aussi, ont changé.

Une Couture à la mesure d’une évolution

Mauro Grimaldi est Conseiller stratégique indépendant auprès de maisons, de créateurs et de groupes de luxe. A propos de ce nouveau fil commercial que suit la Couture, il souligne « une tendance très forte, surtout par attrait esthétique, à se composer un vestiaire gender fluid. L’idée d’un homme très élégant qui mélange les codes, séduit autant les clients que les créateurs. D’autre part, toute une nouvelle génération de consommateurs du luxe, en particulier issue du Moyen-Orient et de Chine, prend plaisir à passer de tenues très traditionnelles et codifiées, à une originalité décloisonnée. On constate un nouveau goût pour les détails précieux, qu’on trouve peu dans la création occidentale en matière de mode masculine ». Selon cet observateur du segment haut de gamme, il ne serait en l’occurrence pas tant question d’une passion pour un « super tailoring », qui a toujours existé, que d’une « nouvelle niche ultrasophistiquée, destinée à un public avec un fort pouvoir d’achat, et qui aime jouer avec son image ». Ainsi, ajouter des hommes dans les défilés traditionnellement féminins de la semaine de la Couture serait déjà un postulat audacieux, dans un secteur plutôt cantonné au classicisme. « On plébiscite l’originalité et la singularité de tenues en modèle unique. La Couture Homme, c’est l’étape qui suit les baskets customisées. Il s’agit de la même démarche, en plus pointu, en plus exclusif. Je pense que c’est un domaine qui en réalité s’adresse peu à l’Occident. Aux États-Unis par exemple, le formal wear est très codifié. Mais en Asie, on peut se permettre une totale excentricité. Ce phénomène découle d’une course à l’exclusivité, c’est l’autre versant du « quiet luxury Loro Piana » ». Mauro Grimaldi rappelle aussi que la Haute Couture développe des processus de technicité et de savoir-faire inapplicables à la production de prêt-à-porter. « Je pense que la Couture Homme restera d’autant plus cantonnée à un petit marché, qu’elle ne concerne pas des pièces que l’on porte beaucoup. Pour moi, elle représente surtout un espace de liberté pour des hommes qui veulent mélanger la grande tradition du costume avec le côté flamboyant des métiers d’art. C’est une tendance esthétique, une posture. Mais je pense que ça restera un univers complémentaire. » Car plus encore que la Couture féminine, ces pièces sont circonscrites à des situations limitées : « Quand une femme peut se permettre une certaine extraversion de style, dans le même contexte, l’homme devra souvent se conformer au costume noir. Donc ce segment convient en particulier aux cultures qui sont en train de tout décloisonner. La Couture Homme, c’est une Rolls customisée, une signature. Parallèlement, la grande tradition du tayloring masculin devient de plus en plus niche, car elle est réservée aux circonstances professionnelles et sociales. » Qui sont elles-mêmes en pleine évolution. Les hommes sont-ils prêts à revenir à une influence qui s’exprimerait par l’extravagance ? C’est cyclique dans l’Histoire. Mais peut-être que la vérité est tailleur.

Exergue ?

« Le plus grand bonheur de la Couture, c’est le luxe de disposer de plus de temps pour y travailler. Le plus grand défi, c’est la recherche de la perfection. »

Demna, Directeur artistique de Balenciaga

 

 

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