Music

Texte : Carine Chenaux

Après une mixtape et un premier opus qui lui ont assuré une place incontestable sur la scène hexagonale, le jeune rappeur d’origine malgache Tsew The Kid est de retour avec un nouvel album, « On finira peut-être heureux ». Une sorte de quête du bonheur évidemment sans certitude, mais riche de la vraie dose d’espoir qu’il nous faut.

Attention apparences trompeuses. Avec son faciès juvénile qu’il estime encore parfois le desservir mais qu’il bénira un jour, et son alias qui semble avoir été trouvé pour continuer d’enfoncer le clou, l’artiste est une pointure. Suivi par 1,6 million de personnes sur les réseaux et capable de remplir un Olympia plus vite que nombre de stars incontestées de la pop, ce jeune rappeur devient un rouleau compresseur dès lors que la musique entre en jeu. Mais c’est cependant avec douceur, si ce n’est avec un léger flegme qu’il redit, certainement pour la millième fois que son pseudo renvoie moins à l’enfance qu’à l’image de Billy Le Kid, gangster de son état, et puis à l’icône du hip hop américain Kid Cudi, dont il partage les textes acérés et un vrai lâcher-prise quand il s’agit de switcher entre le spoken word et le chant. Disque d’or avec son premier projet « Diavolana », adoubé dès la sortie du LP « Ayna », Tsew n’avait pourtant pas choisi la voie rapide du fun et de la fête pour entrer en lice dans l’industrie discographique. Préférant explorer ses peines en embarquant avec lui des auditeurs qu’il imaginait être capables de le comprendre, le jeune auteur, musicien autodidacte et rappeur au flow addictif a tout de suite tapé juste. Ou quand la magie de l’authenticité fait ses effets. Pas moins sincère aujourd’hui, on le retrouve de nouveau face à ses luttes intérieures, évoquant successivement ses incertitudes quant à la réussite, les amours et les amitiés déçues, la ligne ténue qui sépare l’ombre de la lumière et les échappatoires possibles pour contrer la tristesse et l’ennui. Sauf qu’en lui-même, l’artiste autant que l’homme ont su grandir et prendre du recul. Aujourd’hui plus apaisé et même amoureux, comme il ose l’avouer sur le titre finalisé presque en dernière minute, Les Restes de mon passé, il livre un album moins sombre qu’à l’accoutumée, puisque mâtiné en filigrane, d’une réelle envie de peu à peu avancer. De quoi imaginer que, partagé entre empathie et identification, son public n’hésitera pas à l’accompagner sur cette voie accidentée, qui peut-être un jour, amène simplement à être heureux et à l’accepter.

 

Nouvel album « On finira peut-être heureux » (Panenka Music) avec des featurings d’Hatik, Squidji et Zaky, sortie le 23 juin. En tournée à partir du mois d’octobre.

0

Texte : Carine Chenaux

Réaliser des prouesses discographiques et puis savoir à chaque fois transformer l’essai en live de manière magistrale, c’est un peu comme être à la fois beau et intelligent… Pas forcément fréquent. Ces trois artistes-là, aujourd’hui inscrits dans l’actu via des genres musicaux différents, sont du genre à être écoutés autant qu’à être vus sur scène. Mais ils ont pour autre point commun d’inclure dans leurs morceaux, ultra-actuels, le meilleur des influences passées. Focus.

Mezerg

clavier électro

 

Son air de néo-romantique vaguement goguenard lui donne un petit côté dilettante qui pourrait ne pas vraiment lui déplaire. Et si l’on ajoute à cela qu’un minimum d’inspiration lui a suffi pour trouver son nom de scène (son patronyme officiel est Marc Mézergue) ou encore le titre de son dernier disque, un EP intitulé… EP, on a de quoi se méprendre sur les motivations du trentenaire bordelais. Sauf que, quoique doté de pas mal d’humour, l’artiste est un bosseur qui ne se repose pas sur son (bien réel) talent, autant qu’un vrai passionné. Car c’est tout seul que Mezerg a commencé l’apprentissage du piano, à l’âge canonique de seize ans, avant de se former au Conservatoire de jazz de sa ville. Mais, clubbing oblige, c’est l’électro qui a vite eu sa préférence, lui donnant l’envie de pimper son clavier pour livrer des performances aussi hybrides que bluffantes. Capable de jouer dans la rue comme d’affoler les réseaux avec des vidéos aussi brillantes qu’iconoclastes (son « Watermelon », où, au lieu des touches, il joue sur des tranches de pastèque), l’artiste s’est ainsi vite créé une belle fanbase, qui compte parmi ses membres Jean-Michel Jarre ou Timbaland. De quoi lui permettre de se produire en live, ce dont il ne s’est pas privé, avec aujourd’hui à son compteur, pas moins de 400 concerts assurés en six ans (Covid compris) dans le monde entier. Après un Olympia complet en mars dernier, les chanceux ont pu le voir à la rentrée à Paris, sur la scène plus intimiste de la Maroquinerie. Un moment d’anthologie où le public hétéroclite aura dansé non-stop sur sa musique invoquant aussi bien les Doors que les Chemical Brothers. Entendu plusieurs fois au fil du concert : « C’est un génie ! »

EP Extended Play (MRZG). Actuellement en tournée. Le 26 avril 2024 au Printemps de Bourges.

 

Souffrance

rap intemporel

 

Dans le monde du rap, Souffrance n’est pas un nouveau venu. Incontournable depuis plus de dix ans au sein du groupe L’uZine, originaire de Montreuil dans le 93, l’artiste de 37 ans s’est, depuis 2020, illustré en solo au rythme d’une mixtape ou d’un album par an. Repéré lors de sessions radio de haut vol ou lors de sa participation au Classico organisé de Jul – projet discographique pharaonique ralliant Paris et Marseille -, le rappeur s’est fait un nom grâce à sa plume acérée et son style musical influencé par les plus belles heures du rap français. A l’instar de grands noms du genre officiant à partir des 90’s, il perpétue ainsi la tradition new-yorkaise du boom bap à base de basses et de samples. Mais il ne reste pas pour autant enferré dans le passé, empruntant aussi beaucoup à la trap, indissociable de l’électro. Au résultat, avec son tout dernier opus, le bien nommé Eau de source, qui s’ouvre aux featurings, il réunit les différentes générations de la discipline, depuis Oxmo Puccino (le poignant « Rat des villes ») jusqu’à ZKR en passant par Vald. Puriste dans l’âme, Souffrance ne cède jamais à la tentation commerciale, négligeant à dessein refrains et gimmicks, pour au contraire délivrer des textes de poids à l’authenticité rugueuse. Un album qui s’inscrit dans l’époque en évitant tous ses automatismes pour lui assurer l’avenir d’un grand classique.

Nouvel Album Eau de source (Hall 26 Records / Demain Pias) sorti le 10 novembre. En concert à La Cigale le 7 février 2024.

 

Patrick Watson

piano classique-pop

 

C’est fin 2006, à l’écoute de son sublissime album Close to Paradise, que les gold diggers du monde entier auront eu leur premier vrai coup de cœur pour le pianiste et chanteur canadien. Depuis, accompagné de son groupe, l’artiste distille au fil d’albums et de concerts, sa musique influencée par Ravel et Debussy comme par les plus grands noms de la pop anglo-saxonne, qui ne cesse de gagner en simplicité et en authenticité. Ultra-demandé par le cinéma et la télévision pour des bandes son originales, Patrick Watson se caractérise aussi par une rare volonté de transmission. Ainsi poste-t-il régulièrement des tutoriels de ses propres chansons au piano et des vidéos où il dévoile ses tips pour écrire des paroles.

Auteur d’un très beau Better in the Shade en 2022, l’artiste n’est cependant jamais aussi impressionnant que quand il se produit sur scène, où sa maestria et sa voix exceptionnelle transportent ceux qui ont le bonheur de l’entendre. Drôle et à la coule quand il quitte son piano pour raconter quelque anecdote en français et en anglais à son public, il se montre ici capable (quand il ne l’émeut pas trop) de l’emmener où il le veut – comme à siffler en chœur à l’évocation d’un oiseau en cage. Et comme il est amateur de surprises, il n’est pas rare de le voir rejoint en concert par l’un de ses artistes-amis, à l’instar d’un Arthur H, venu avec un titre inédit, écrit quelques jours plus tôt pour être interprété lors de l’une de ses dates au Café de la Danse en septembre dernier à Paris. De la beauté du chaos de l’impro…



Album Better in the Shade et édition de l’album numérique A Mermaid in Lisbon en vinyle (Secret City Records). Actuellement en tournée mondiale.

0

Music

Propos recueillis par Carine Chenaux
Photo par Axle Joseph
Illustration Camila Klotz

 

Alors que ressort dans une édition Iconic, enrichie de cinq titres, son album Théorème, Bilal Hassani se livre sur son travail et ses mille vies. A 23 ans à peine, cet artiste riche d’une formation classique qui lui promet une carrière à 360°, se démarque par sa douceur et son empathie, en même temps que par sa solidité et sa détermination (mais aussi par sa sublime mise en beauté réalisée pendant l’interview).

Pourquoi ressortir ton album Théorème moins d’un an après sa sortie ?

Son histoire a commencé pendant le Mois des Fiertés de l’an dernier, avec la sortie du premier single « Il ou Elle ». Quand on a lancé cette aventure, je savais que j’aurais envie en quelque sorte, de « boucler la boucle » pendant le Mois des Fiertés de l’année suivante. C’était prémédité (sourire). Ma volonté était de vivre toutes les étapes de l’album pendant douze mois, parce que Théorème parle d’une reconstruction post-traumatique. Il induit donc la nécessité de réapprendre à se connaître après avoir vécu quelque chose de très difficile. Cette réédition symbolise donc un peu les derniers « crachats » de ce qu’il en reste et qui fait mal ; les vieux fantômes du passé qu’on chasse une dernière fois. Elle comporte ainsi beaucoup de chants presque « de manifestation », où j’appelle à un futur glorieux, à vivre avec encore plus de confiance en soi.

Le nouveau single s’intitule « New Dimension » et c’est l’un des titres qui est écrit en anglais…

Oui, parce que je me suis rendu compte que les textes, sont parfois pour moi, plus faciles à écrire sans passer par le français. Cela me permet un certain recul, une petite distance que je peux mettre entre moi et ceux qui m’écoutent. Au final, la réédition de l’album compte cinq inédits que mon public connaît un peu, puisque je les ai déjà interprétés en live, à l’exception de ce « New Dimension ». J’y dis : « Battons-nous et allons-y en regardant vraiment en face, parce qu’on ne peut laisser les autres nous interdire de nous épanouir complétement, ni d’aimer, ni de simplement vivre. » Je pense que toutes les minorités vivent avec ce petit truc qui dérange tout le temps, cette différence qui fait que l’on croit devoir travailler dix fois plus que les autres et qui entrave la perspective d’une vie totalement heureuse. Ce que j’essaie de dire avec ce titre, c’est : « Et si on se barre, tous, là, maintenant, pour décider juste d’exister, peut-être qu’on ouvrira une nouvelle dimension ? » Tout ça est évidemment hyper utopique, mais c’est agréable de rêver.

Tu parles de reconstruction post-traumatique, est-ce déjà en partie une réflexion sur divers épisodes de ta vie ?

Oui en effet, j’en évoque plusieurs et ils sont un peu parsemés dans tout l’album, J’évoque parfois ce passage à l’âge adulte qui, je pense, se fait presque systématiquement de manière assez abrupte, quand on est une personne queer. On est souvent confronté à quelque chose de très grand alors qu’on est un peu trop jeune pour l’affronter.

Mais c’est surtout un événement en particulier, une agression très violente que tu as subie avant l’enregistrement, qui est au cœur de l’album.

Oui, et il ponctue la première et la deuxième partie de l’album. Là, je raconte un événement qui fait qu’on est littéralement chosifié. Un moment où l’on n’est plus pendant un instant et après lequel, il va justement falloir réapprendre à être, avec de nouvelles armes, qu’on aura paradoxalement acquises grâce à ce trauma. Être plus vigilant, mieux comprendre les côtés sombres de l’âme humaine…

Souvent, tu es amené à avoir des interviews qui laissent franchement ton travail artistique de côté…

Je pense que je suis suffisamment pragmatique pour comprendre que les choses se passent comme ça et que ça risque de durer encore un petit bout de temps avant qu’on arrive à ne plus devoir justifier mon existence quand je suis présenté dans un média. Il faut dire que quand je suis arrivé en 2019, je n’existais pas pour le public. Du coup, c’était un peu comme si une nouvelle créature débarquait, et qu’on la présentait comme une nouvelle bête au zoo. Il faut donc expliquer à tout le monde ce que c’est, comment ça marche. Et quand « la bête » commence à réfléchir et à agir, évidemment ça fait un peu peur et il faut qu’elle revienne justifier et expliquer pourquoi elle est dans une certaine démarche.

Ca serait plus facile si « la bête » apparaissait comme davantage écervelée… ?

Bien sûr ! Mais comme quand on m’a interrogé sur certaines questions touchant au genre, je me suis montré assez éloquent et en même temps assez intelligible, on a vite conclu que quand on voulait parler de ces choses-là, on avait Bilal Hassani. En tout cas, je ne me positionne pas comme un porte-parole, même si on me voit parfois comme ça.

Ca peut être tout de même frustrant ?

Un peu… J’écris, je compose, je produis, mes chansons. Je suis aussi éditeur via mon label House of Hassanique j’ai fondé il y a deux ans, je fais beaucoup de choses. Alors non, je ne demande pas plus d’attention, mais j’aimerais que celle qu’on m’accorde dévie parfois un peu, pour me laisser parler davantage de mes projets.

Après avoir été empêché de te produire en concert dans une ancienne église à Metz en avril dernier, tu as marqué les esprits en interprétant le titre Laissez-moi danser sur le plateau de l’émission C à Vous sur France 5…

Ce qui était marrant dans cette histoire, c’est que ça faisait un moment qu’il ne m’était rien arrivé. J’avais même vécu plein de belles choses, comme ma participation à Danse avec les stars où j’étais le premier homme à danser avec un homme. Les réactions avaient été vraiment positives, à tel point qu’ensuite, j’avais été invité à être juge dans l’émission. Du coup, sur les réseaux sociaux, ma vie était beaucoup plus tranquille. Je n’étais plus du tout dans la ligne de mire des trolls et je m’étais habitué à ça. J’avais ma fanbase, un petit comité de gens passionnés par mes projets, autant que moi, si ce n’est davantage. On passait un très bon moment et puis, il y a ce truc qui est venu tout casser. Mais bon, je suis remonté sur scène dès le lendemain et, sans me redonner de la force puisque je ne l’avais pas perdue, mais, ça m’a tout de suite recentré. Je ne suis pas un objet médiatique ni un concept, je suis un artiste. D’ailleurs, je n’ai aucun souvenir de moi qui ne voulais pas faire ce que je fais actuellement.

Aujourd’hui, quelle pourrait être ta quête personnelle ?

Je pense qu’il faut que les gens continuent de réagir, c’est-à-dire adorer ou détester le projet Bilal Hassani. Je serai beaucoup plus triste si un jour, tout le monde se met d’accord pour dire que ce que je fais est vraiment très bien. Parce que quand ça convient à tous, c’est que c’est moyen. A part ça, ma quête est très simple. J’ai dit à quatre ans que je voulais devenir la plus grande pop star intergalactique, et ça n’a pas bougé (rires).

Après, il y a de nouveaux enjeux qui se sont présentés quand j’ai grandi. La découverte de ma sexualité, et puis ensuite, la découverte de l’intolérance et le constat que cette mauvaise énergie allait me suivre toute ma vie. Pourtant, je ne veux pas m’inscrire dans un combat « contre ». Déjà pour rester sain dans ma tête, et aussi pour continuer de produire une œuvre qui sera fidèle aux rêves de l’enfant que j’étais. Il faut que je suive mon chemin, sans m’inquiéter des réactions, mais en considérant qu’elles ne peuvent pas m’atteindre.

 

Regarder ailleurs alors ?

 

Non, parce qu’il y a tout de même une petite contradiction dans ce que je dis. En vérité, il m’arrive de prendre la parole sur certains sujets quand instinctivement, je juge que c’est utile. Mais je le fais pour ma génération. Je suis arrivé à un moment où la société prenait un tournant différent, en posant que plus en plus de questions autour de l’identité. J’assiste à ça en tant qu’être humain, je constate que tout va très vite et que me dis que c’est beau à voir. Mais il faut le préserver.

 

Quels sont tes projets ?

 

J’ai envie de créer plein de choses. Je sors cette réédition, mais je passe mon temps au studio pour continuer de faire des chansons. Je tourne deux films cette année, le premier étant Les Reines du drame d’Alexis Langlois, dont c’est le premier long-métrage. Je ne veux me limiter à rien. A partir du moment où j’ai été catégorisé OVNI, j’ai acquis le droit de tout faire ! (rire) Un peu comme si j’étais dans un état d’hypnose permanent qui me transposerait dans une dimension parallèle où tout est autorisé, où j’ai tous les cheat codes du jeu de la vie.


 

0