Au sens symbolique, évidemment. On a déjà du mal à ranger notre appart’ grandeur nature, on ne va pas se lancer dans des tout-petits-travaux pour miniaturisations allégoriques des montagnes qu’on se fait de nos taupinières. Ces maisons, jouets de projections qui maquettent dès le plus jeune âge les enjeux de notre vie intérieure, agencent idéalement tout ce qui ne rentre pas toujours dans le cadre implacable d’un quotidien impalpable.La plus belle maison de poupées au monde, pardon pour l’absence de complaisance poétique, n’est pas celle qu’on se composait, enfant, à partir d’un carton découpé, animé de Playmobil conciliants. Non. C’est celle créée il y a exactement un siècle par le grand architecte britannique Sir Edwin Lutyens pour la reine Mary, épouse de George V. C’est la plus célèbre, la plus détaillée, la plus saisissante. Sans doute mieux aménagée que la plupart de nos chez-nous. Fabriquée grâce à la contribution de plus de mille cinq cents artistes et artisans parmi les meilleurs de Grande-Bretagne, quand on peine à trouver un plombier un samedi, elle est équipée d’un réseau d’eau chaude, d’ascenseurs en état de marche, d’un circuit électrique évidemment, d’une bibliothèque regorgeant d’œuvres reproduites en tout mini caractères jusqu’au dernier vers, et d’une cave à vin d’authentiques grands crus – plus de mille deux cents références millésimées – embouteillés dans des flacons miniatures, à savourer, quand on est une poupée, jusqu’au dernier verre. Pourtant, si on l’admire, on aurait du mal à l’investir. Même si on est très chanceux, cet idéal ne peut pas ressembler à notre gargantuesque réalité. Cette maison, c’est la vie de quelqu’un d’autre. On se dit que la nôtre est peut-être moins dorée, mais qu’elle bien plus grande, remplie du sol au plafond de nos souvenirs, d’un quotidien délicieusement désordonné, et de nos projets sans cesse reclassifiés. On se dit que jamais, on ne pourra concentrer toutes nos réalités entre quatre murs de bois laqué. Mais à y regarder de plus près, tous nos livres, nos agendas, nos albums photos, nos échanges, nos turpitudes, notre sociabilité et nos fenêtres secrètes sur le monde tiennent dans les 100cm² d’un téléphone toujours à moitié déchargé. Où l’on range chaque soir, tout réseau épuisé, les jeux bien réglés d’une poupée de cire, poupée de sens.