Art

Ben Harper : la lumière au goût du tunnel

Propos recueillis par Gregg Michel

Direction Artistique Arthur Mayadoux

Photos Rasmus Mogensen

Stylisme Sonia Bédère

Avec très peu d’instruments et une rare proximité, Ben Harper dévoile une nouvelle collection de chansons pleines de passion et d’âme pour ouvrir son cœur à l’auditeur : Wide Open Light. Toujours en quête de la meilleure manière de transmettre ses émotions, l’artiste continue d’arpenter et d’explorer son propre chemin, près de trois décennies après l’introduction explosive de Welcome To The Cruel World. Et ce n’est que le début.

 

Qu’est-ce qui est venu en premier, les chansons ou le concept ?

 

Je n’ai pas nécessairement écrit avec un concept en tête, mais j’ai mis des chansons de côté, j’en ai même donné quelques-unes à d’autres personnes pour qu’elles les essaient. J’ai aussi testé certaines d’entre elles sur scène, mais je ne les ai pas enregistrées, dans l’espoir de faire cet album : quelque chose de dépouillé, de subtil, mais dont l’intention est claire.

 

Comment se fait-il que la deuxième chanson de l’album soit un morceau live ?

 

« Giving Ghosts » a effectivement été enregistrée en live à l’Opéra de Sydney. La raison pour laquelle j’ai fini par utiliser cette prise live est qu’il y a eu de nombreuses versions de ce morceau et j’ai fini par avoir l’impression que je n’arriverai pas à faire mieux. J’espère qu’un jour, en concert, j’y arriverai, mais j’ai réalisé que je ne pourrais pas obtenir un enregistrement aussi bon en studio. Aussi honnête, en tout cas. J’ai donc dû appeler mon ingénieur du son et lui demander « Pitié, dis-moi que tu as enregistré ce concert » et il m’a répondu « Oui, j’enregistre tous les concerts » ! (rires)

 

Comme cet album s’insère-t-il dans ta discographie ?

 

Son enregistrement et sa création étaient tout simplement fantastiques, c’est vraiment un disque de rêve. Pour moi, être à ce stade de ma vie et ne pas être soumis à la pression de la musique pop est un exploit, pouvoir faire un disque subtil comme celui-ci et avoir des invités que j’aime : Piers Faccini, Jack Johnson, Shelby Lynn. J’ai simplement appelé quelques amis pour qu’ils participent à l’enregistrement. Du plaisir, rien que du plaisir.

 

Est-ce que le voyage jusqu’à ce disque a toujours été aussi clair ?

 

J’ai pris un risque, j’ai enregistré un disque instrumental intitulé Winter is for Lovers, avec une grosse production, un orchestre à cordes et un groupe. Mais juste avant de le sortir, j’ai décidé d’en faire une version différente, avec juste moi et une guitare en studio. J’ai fini par sortir Winter is for Lovers comme une lettre d’amour adressée à la guitare lap steel. Et c’est ce qui m’a poussé à faire ce nouvel album, car je savais que je devais trouver le même courage, mais avec des paroles cette fois.

 

Wide Open Light semble représenter tout ce que tu as fait jusqu’à présent, le vois-tu comme un résumé de ta carrière ?

 

Oui, ça semble logique. Ça a du sens pour moi, en tout cas. C’est une ode à mon parcours musical et une ode à l’amour. Il y a beaucoup d’amour dans cet album. L’amour comme un risque, l’amour comme une rupture, l’amour comme un pouvoir. Ce que l’amour apporte, ce que l’amour prend. L’amour comme récompense, l’amour comme notre plus grand accomplissement en tant qu’êtres humains. L’amour sous toutes ses formes.

 

Tu sembles aborder le sujet de manière plus légère maintenant…

 

Oui, je ne voulais pas tomber dans les pièges et les clichés de l’amour et j’ai donc essayé d’écrire en contournant tout ce qui semblait évident. Du genre « l’amour est un vide-grenier » (NDLR : Phrase extraite du duo avec Jack Johnson « Yard Sale »), alors qu’on n’a pas l’habitude d’y penser de cette façon. J’ai essayé d’éclairer mon point de vue sur l’amour, musicalement parlant.

 

« Masterpiece » se rapproche du « Father And Son » de Cat Stevens. Penses-tu que ton écriture ait changé ?

 

Merci, c’est un énorme compliment. Il y a beaucoup d’abandon dans cet album. Je lève les mains au ciel et je dis « Amour, fais de moi ce que tu veux ». C’est peut-être ça qui fait la particularité de ces chansons d’amour.

 

Elles semblent très intimes et, contrairement à celles de beaucoup d’autres artistes, pas du tout simulées, mais pleines de cœur et de passion.

 

Chanter l’amour à 53 ans est très différent de chanter l’amour à 23 ans. Et je ne pensais pas vivre assez longtemps pour chanter l’amour à 53 ans. Vraiment pas. Il s’avère que cela devient une conversation totalement différente, à cet âge.

 

Penses-tu avoir trouvé ce que tu cherchais, et penses-tu que c’est important de le trouver ?

 

Pas mal ! (rires). Quand tu trouves ce que tu cherches, tu réalises que le voyage pour le trouver ne fait que commencer. On se dit : « J’ai trouvé, mais qu’est-ce que je vais en faire ? ». Il s’avère que l’on peut chercher quelque chose toute sa vie, le trouver et c’est finalement le début de la quête. C’est très intéressant, c’est la nature humaine.

 

Vois-tu tes albums comme les étapes d’un voyage intérieur ?

 

Oui, tout à fait !

 

Considères-tu celui-ci comme un aboutissement ou juste une nouvelle étape ?

 

Celui-ci referme un livre. Il fait un nœud autour de quelque chose. Je ne sais pas quoi, mais tout ce que je ferai à partir de maintenant sera certainement un nouveau départ.

 

Les arrangements sont vraiment ténus et dépouillés, comment as-tu réussi à ne pas surproduire les chansons ?

 

C’était le grand moment de vérité pour cet album. Je connais des producteurs, et même de très bons producteurs, de hip hop, d’électro, d’EDM…  Certains ont même gagné le titre de « producteur de l’année ». Mais ces gens, j’ai choisi volontairement de ne pas les appeler. En revanche, je me suis tourné vers deux personnes que je connais depuis toujours : Danny Kalb, qui a enregistré « Both Sides Of The Gun » et « Lifeline », et Jazon Mozersky, qui faisait partie de Relentless 7 avec moi. Il y a une seule chanson co-écrite sur cet album et c’est « 8 Minutes » avec lui. C’est un album dépouillé et tous deux m’ont vraiment aidé à le produire, car à chaque fois que j’essayais de l’étoffer en ajoutant des choses, ils revenaient vers moi et me disaient ce qu’il fallait enlever. C’était vraiment une production par extraction, d’une certaine manière. Is m’ont vraiment permis de sortir de mes propres sentiers battus, donc je ne peux pas juste dire : « J’ai décidé d’être courageux et de laisser de côté la batterie et la basse ». En réalité, j’avais des gens qui regardaient par-dessus mon épaule en permanence pour s’assurer que cet album sonne de manière honnête, nue et dépouillée.

 

« Love After Love » est le seul morceau avec un groupe entier et même un violon, mais même dans ce cas, tu sonnes au plus près de l’auditeur…

 

Cela n’a pas rompu le charme alors, j’en suis heureux. Nous avions également retiré la batterie et la basse de ce morceau, mais ça ne fonctionnait pas, donc nous avons décidé de les remettre. « Masterpiece » était également très dépouillée mais j’ai toujours aimé la partie de basse alors on peut dire que « Love After Love » a servi de caution pour rajouter de la basse à « Masterpiece ». Ce sont des chansons sœurs sur l’album.

 

Que peux-tu dire au sujet de la pochette ?

 

Le visuel représente une femme assise à sa fenêtre, la nuit, avec la lumière allumée et j’ai choisi cette image, parce que j’aime à penser que, dans un monde parfait, elle écoute cet album. (sourire)

 

Tu vas bientôt partir en tournée, penses-tu que les anciennes chansons influenceront ta façon de jouer les nouvelles ou est-ce que ce sera l’inverse ?

 

Non, je les jouerai telles qu’elles ont été enregistrées.

 

Comment t’es-tu retrouvé à jouer avec Harry Styles ?

 

Je l’ai fait pour la simple et bonne raison qu’il est génial, que la chanson est géniale et que son album est génial. Je jouerais avec n’importe qui ayant des bonnes chansons. Il se trouve cette fois qu’il s’appelle Harry Styles. C’était cool pour moi d’être demandé, c’était excitant et ça a donné une session super fun. J’en garde un souvenir vraiment merveilleux et j’espère que nous pourrons en faire d’autres.

 

À ce propos, avec qui aimerais-tu collaborer ?

 

J’aimerais écrire avec Paul Simon, ça pourrait être amusant. J’aimerais aussi écrire avec Joni Mitchell ou Lauryn Hill.

 

Est-ce que tu penses déjà à ce que pourrait être la prochaine étape ou est-ce que tu comptes simplement profiter de celle-ci ?

 

Je vais profiter de celle-ci parce que je n’ai pas de prochaine étape pour l’instant. Je n’ai rien de prévu. Pour ce qui est d’enregistrer des disques en tout cas, car je vais mettre toute ma concentration, mon énergie et ma détermination dans la tournée à partir de maintenant.

 

Wide Open Light (Chrysalis) sorti le 2 juin 2023.

En tournée à partir de juin 2023. A l’Olympia à Paris le 30 juin et du 3 au 5 juillet.

 

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